vendredi, mars 02, 2012

J'ai abandonné un vieux compagnon...

J’ai abandonné un vieux compagnon. Lui et moi, on a fait la route ensemble, inséparables, fûmes-nous. Il m’a sauvé la vie, grâce à lui, je n’ai pas été contraint à la rue et à ses misères.
Lui, c’est la fourgonnette J5 Peugeot que j’ai acquise en 2001-elle avait déjà presque vingt ans- quand on m’a appris que je devais quitter mon petit cabanon dans les vignes du centre-Var. Au chomdu, incapable de payer un loyer, je me suis réfugié dans ce que j’appelais mon « Escargal ». Nous nous sommes installés à Toulon, dans les rues calmes du Faron ou sous les pins au dessus du parking des Lices. Je passais mes journées au « Café-Lecture » où j’étais animateur, et certains après-midi à converser avec les joueurs de boules. Avec lui, je suis monté à Forcalquier et Embrun pour suivre ma formation BEATEP Théâtre. En 2003, je suis monté, pour m’y installer et peut-être bosser, à Forcalquier. Cela a duré deux ans et demi, dormant dans l’Escargal la nuit, sous les châtaigniers de la piscine, ou à côté du cimetière, à portée de main de la fontaine toute fraîche et qu’un pacifique crapaud avait choisi comme paradis personnel. La journée, à Forcalquier, je descendais dans le petit garage que me louait une vieille dame du village et où j’avais installé mon premier « atelier » de livres. C’est dans ce local froid, humide mais tranquille, que furent imprimés, cousus, peinturlurés, mes fameux livres artisanaux aux couvertures de papier peint et reliés de ficelle de maçon. Il m’en reste quelques exemplaires, on les trouve quelque part en photo sur mon blog…
La nuit, je remontais dormir dans l’Escargal. Parfois, avec d’autres « Fourgonneux », on organisait un petit repas convivial et on parlait de la vie, de voyages, de rencontres, de parcours errants…
L’Escargal, discret et refermant en lui une atmosphère quelque peu romantique, abrita, sous son air patelin, des heures de passion coquine et amoureuse que partageait dans mes bras la si tendre et belle C…
Et puis la page Forcalquier s’est refermée. Fin 2005, j’ai dirigé mes rêves vers Lyon, espérant que là, mon écriture et moi trouverions un généreux espace d’épanouissement… Deux mois de rue, encore, stationné dans un quartier de Villeurbanne. Mais là, en ville, ça n’avait plus rien de champêtre, de quiet. Circulation, bruit, grande difficulté pour trouver des points d’eau, des toilettes…
Alors, association de réinsertion, aide à la recherche de boulot, d’un logement…
Et c’est ainsi que j’ai atterri au foyer Sonacotra de Tassin la Demi-lune. Janvier 2006.
Dans la jungle et l’enfer réunis. Mais avec un toit sur la tête et une douche quotidienne.
Fin de la vie en camionnette.
Mais l’Escargal et moi, on faisait tous les dimanches, la sortie au « Marché de la Création », sur les quais de Saône, à Lyon. Pour montrer mes livres. Et essayer d'en vendre... Départ de Tassin à six heures, sortie du tunnel de Fourvière, hop, tout de suite à droite, direction les Quais de Saône, et voilà, Quai Romain Rolland, trouver une bonne place de parking. Tchatcher avec les collègues artistes, les bises qui claquent, le café sorti du thermos… Le stand qu’on installe, les rires, les engueulades… Et puis les gens qui arrivent, peu à peu, les flâneurs, les qui regardent, les qui s’en foutent, des bouquins au père Denis…
Et puis treize heures, on remballe, t’as vendu, c’est chouette, ça fait chaud au cœur, t’as la banane, t’as rien vendu, tu hais la planète, tous des cons, et quand-même, les « au revoir », parfois la mousse qu’on va se boire à trois ou quatre, quand il a fait si chaud sous les tentes…
Retour au foyer, les cartons à remonter au quatrième et demi sans ascenseur…
Quatre ans et demi, ça a duré, le « Monde des déjetés » de Tassin.
Et puis, un jour d’avril 2010, j’emménage en plein Lyon, quartier de la Guillotière. Dans un petit, tout petit appart’, mais, putain, tranquille, tranquille ! Finis, les tarés, les haineux, les tordus du foyer ! Les douches pleines de sang, les chiottes tapissées de merde, les plaques chauffantes tartinées de spaguetti ou de poisson pourri. Fini !
Mais voilà, en pleine ville, que faire de l’Escargal ? Trop haut pour rentrer dans les parkings, il dort dans la rue, il y rouille, il s’y dégrade. Et surtout, il y subit la connerie d’une jeunesse en déserrance morale.
-Hé ! T’as vu la vieille camionnette ? Si on lui tordait les essuie-glaces ? Si on y arrachait les rétroviseurs ? Ouarf Ouarf ! Keskonsmarre ! Et les poignées de portières ? Ha ! J’voudrais voir la gueule du gus, demain, quand y verra ça !
Au bout d’un an et demi, une épave. Un tas de ferraille. Juste parce qu’on vit dans un monde de cons.
Alors, hier, j’ai décidé que c’était fini. Mon Escargal, mon compagnon, mon sauveur, mon complice, mon toit, ma chambre, mon sein chaud, je l’ai déposé dans une casse du coin. Et je suis reparti, avec juste le porte-clés de cuir rouge. Et le sentiment d’avoir vécu de drôles d’années d’errance.
D.M.
Une grande partie de ces situations sont évoquées dans ma pièce "Dissolution d'un ectoplasme". Pièce à lire sur:
http://denismarulaz-dissolution.blogspot.com/



4 commentaires:

Cécile Alix a dit…

Oh là là, Denis, larme à l'oeil souriante en vous lisant... je les ai arpenté, les quai de Saône... on a dû se croiser... mais il s'agissait d'un temps où ma sébile d’étudiante était vide à en faire gargouiller un estomac !

Cécile Alix a dit…

*arpentéS

denis Marulaz a dit…

Salut, Cécile Alix, ton émotion me touche beaucoup. Heureux aussi de partager avec toi la passion du Théâtre. Et en espérant que désormais ta vie se conjugue au "Soleil présent".

Anonyme a dit…

Elle est émouvante l'histoire de ta veille "berline" qui est la tienne aussi.

Courage pour la suite Monsieur le Poète et encore merci.

Dés que je peux, je commande Zeugmette, ne serait-ce que pour les dessins mais pour le théâtre aussi!

Bonne continuation...

Librellule

c'est dur la liberté mais non, je ne regrette rien...
<//;O)