lundi, février 28, 2022

Monologue de la Vieille Dame au chien

 

Ecrit en 2011, ce long Récit Poétique "Aux alentours de nulle-part" nous projette sur une planète Terre où plusieurs décennies d'un "déluge" provoqué par la "Civilisation Humaine" a fait disparaitre la presque totalité de la Vie. Seules, quelques bribes de végétation et de rares animaux se sont accrochés sur des cimes non atteintes par les eaux. Et aussi quelques poignées d'individus de ce qu'il reste d'une Humanité autrefois si dense et si prolifique. Et dans quel état, dans quelle misère, dans quelle déchéance civilisationnelle ! Nous suivons les avatars de quelques personnages survivants à cette grande catastrophe et à ce nouvel état du Monde. Et, entre autres, nous assistons à cette interpellation qu'adresse une vieille Dame,du haut d'une falaise, à la "Dimension de Conscience Universelle" qu'elle accuse d'avoir laissé une Humanité riche et prometteuse de talents et d'intelligence se vautrer et se perdre dans une gabegie et une déchéance qui ont mené le Monde à sa perte et à l'effondrement final. C'est ce "CRI" que l'on peut lire ci-dessous.  

 

Monologue de la Vielle Dame au chien 

  


 

« Pourquoi ?

Pourquoi,

Alors que pouvait s’établir,

Fraiche et enthousiaste,

Une civilisation de jardiniers,

De bâtisseurs, de découvreurs

Et de poètes,

Pourquoi n’avoir pas étouffé

Dans ces âmes

Fraichement irradiées de tes lumières

Les germes âpres

Des orties et des ronces ?

Pourquoi avoir cédé la place

Au moindre assaut

Des forces ténébreuses ?

 

Pourquoi as-tu permis

Que ta révélation

De force de Lumière, de Connaissance,

Soit travestie, grimée, dénaturée,

Puis présentée, enseignée, imposée

En dogmes mensongers

En lois inquisitrices,

En hiérarchies injustes et immorales ?

 

Pourquoi ton surgissement

En la lignée des hommes

A-t-il amplifié leurs instincts

De cruauté, de barbarie ?

 

Pourquoi dans ce Monde,

Pourtant baigné

De ta source fraiche,

L’homme, dédaignant sa houe,

S’est-il armé d’une lame froide

Pour s’en aller piller

La récolte d’autrui ?

 

Pourquoi as-tu permis

Qu’explose en mille éclats tranchants

La sphère cristalline

D’une humanité

Au destin rayonnant ?

 

Comment as-tu pu tolérer

L’instauration des classes sociales

Du servage, de l’esclavage,

Comment l’idée a-t-elle pu s’imposer

Que des hommes, privilégiés,

Ont droit sur les autres,

De vie et de mort ?

 

Comment, dans un Monde

A visée d’Amour universel

A-t-on pu laisser,

Au mépris de toute justice

De toute logique,

Le sexe aux bras de fer

Réduire à la servitude et au silence

Le sexe aux bras de tendresse

Et de consolation ?

 

Comment, dans certains peuples

Et des siècles durant,

Et sous prétexte de prescription divine,

A-t-il été possible d’infliger

A des millions de femmes

De traverser leur vie

Dans le tunnel obscur

De la soumission

Et de l’inapparence ?

 

Pourquoi, à la satisfaction

Des folles humeurs et ambitions

De satrapes insensés,

A-t-on laissé des Nations

Agresser des Nations,

Des Peuples exterminer des Peuples ?

 


Pourquoi, alors que chaque jour

La civilisation des hommes

Devrait s’approcher du soleil espéré

De toute sagesse,

Laisse-t-on suppurer

Les plaies vives et sanglantes

De haines ancestrales ?

 

Pourquoi ces fleuves de sang

S’écoulant trop souvent

Aux champs ravagés

Des récoltes perdues

Sous le pas lourd des armées

Et la chute vertigineuse

Des corps pétrifiés ?

 

Pourquoi, ce pavé des villes martyres,

Tressautant sous la course des chars,

Gluant du sang du peuple

Et des chairs écrabouillées

Des rêveurs et des utopistes ?

 

Pourquoi avoir abandonné toujours

A la vindicte des tyrans

Les défenseurs visionnaires, courageux,

De Ta Révélation, de Tes Lumières ?

 

Pourquoi, renonçant à faire germer

Compassion et beauté

Dans l’esprit des hommes,

L’a-t-on délaissé, en jachère,

A la malignité ravageuse

Des manipulateurs

Et des illusionnistes ?

 

Comment, des siècles, des millénaires,

Après ton fulgurant surgissement

Dans la lignée humaine,

Après avoir projeté par cela

Le Monde du vivant

Dans la dimension de la Conscience

Et de la responsabilité,

Comment se fait-il

Que cet élan se sclérose,

Se pétrifie, se ratatine,

Dans une humanité d’instincts bestiaux,

D’appétits incontrôlés,

De voracité dévastatrice,

De manipulations criminelles,

D’égoïsme déstructurant,

Dans une société humaine morcelée,

Atomisée, déconstruite,

Livrée corps et âme

Au noir vertige

De son abandon moral,

Soumise, sans rémission,

A la dictature barbare

De sa vanité, de sa paresse,

De son égocentrisme,

De sa vacuité originelle ?

 

Et ce Monde magnifique,

Exubérant de vie, grandiose, miraculeux,

Dont l’homme n’était qu’un maillon,

Qu’une fibre,

Et qu’il a cru à lui offert,

A lui, mis à disposition,

A lui, donné en pâture,

Et qu’il a déchiqueté,

Eventré de part en part,

Etouffé de gaz suffocants,

Inondé de poisons irrémédiables,

Tourmenté de mille et mille

Edifications vaniteuses,

Incendié de mille feux inextinguibles.

 

Et ces immensités vertes et profondes

De forêts primitives

Qu’il a rongées, arpent après arpent,

Jusqu’à ce que tout soit

Consommé, consumé,

Qu’il n’en reste que des copeaux,

Détruisant dans ce crime

L’inimaginable,

L’incalculable richesse

De vie radieuse

Qui y vibrillonnait, sereine,

Depuis la nuit des temps. 

 

Et ces océans, ces mers,

Aujourd’hui réceptacles

De toutes les déjections,

Insondables bassines

De saumures pestilentielles,

Et qui pourtant furent un Monde !

Qui furent bouillonnements de vie,

Creusets de surgissements,

D’adaptations extraordinaires,

Incroyables,

Espaces liquides envoutants,

Merveilleux !

 

Car il y eut de la vie,

Et quelle vie, t’en souviens-tu,

Dans ces immensités bleues,

Il n’est qu’à regarder

Les traces encore visibles

Dans les pierrailles que je foule

Pour s’en souvenir amèrement.

 

Mais la lignée des hommes

A fait main basse, comme sur le reste,

Sur ce trésor

Qu’elle a pris pour une mangeoire.

Et le bipède impétueux,

Droit dans ses bottes

Sur le pont du navire-usine,

A jeté ses filets aux mailles serrées

Dans les profondeurs de l’océan

Et remonté à son bord

Des récoltes de chair frémissante,

Et relancé et relancé encore

Ses pièges de pillard

En aveugle insatiable,

De plus en plus loin,

De plus en plus profond,

Labourant les fonds de corail

Comme une hyène s’acharnant

Sur l’ultime bout de chair sur l’os.

 


Comment, juste pour satisfaire

Les caprices esthétisants

De masses ventrues et imbéciles,

A-t-on pu laisser massacrer

Les races de cétacés,

Anéantir, pour leur seul aileron «goûteux »,

Les peuplades de requins,

Rayé du Monde du vivant

L’espèce du thon rouge,

Pour la seule raison

Que son jus donnait une jolie teinte

A de petits bâtonnets moelleux,

Agréables au regard et au palais

Des bipèdes festifs ?

 

Comment, je te le demande

Les yeux dans les yeux,

Comment est-il possible

Qu’on ait laissé commettre l’irréparable ?

Comment la Lumière, Ta Lumière,

Ne s’est-elle pas imposée

Dans les méandres du cerveau

De la bête élue, choisie de toi, pourtant ?

Il y a bien surgi de l’Art,

De la Musique, de la Poésie,

De la Philosophie !

Pourquoi pas de la Sagesse,

Du Respect,

De la Contemplation fraternelle ?

Pourquoi avoir laissé patauger

Dans cette déchéance morale

Des êtres qui avaient tout en eux

Pour briller comme des soleils ?

 

Parce qu’on avait sous la main

Le sujet d’une expérience excitante

Ou d’un pari fou d’ivrognes ?

 

Pour laisser en toute indépendance,

Impartialement,

Se dévoiler, surgies de nulle-part,

Les vertus du libre-arbitre ?

En vue de s’émouvoir un jour,

Juste avant que tout finisse vrillé

Sous sa main assassine,

Des beautés du repentir humain

Et de sa rédemption ?

 

Parce qu’il fallait que fussent explorées

Toutes les impasses de la souffrance,

De la misère, de l’horreur, du crime,

De la perversité, de la déchéance,

Pour que prît sens, enfin,

La clarté aveuglante

De ton Œuvre de Sanctification

Dans l’acte d’Amour et de Fraternité ?

 

C’est pour cela que, sans entraves,

Tant de crimes ont été commis ?

Et c’est pour cela

Que de milliards d’êtres connurent

L’oppression, la barbarie,

La torture, l’esclavage,

Le bûcher, la lapidation, l’exil,

L’interdiction d’exister à visage visible,

C’est pour cela que, sans broncher,

On a laissé mettre à mort

Les porteurs  de Lumière,

Les porteurs de Ta Lumière ?

 

C’est pour cela, par souci, peut-être,

De ne pas intervenir

Dans le déroulement de l’expérience,

Qu’on a laissé la lignée des bipèdes

Araser sa Terre jusqu’à l’os,

Lui mettre les tripes à l’air,

La molester jusqu’à la mort ?

 

Et voilà que la planète agonisante,

Dans un dernier sursaut,

S’est résolue en fiente nauséabonde,

Voilà que la chair vive

De la planète bleue

S’est liquéfiée en torrents de boue

Et de galets roulants,

Voilà que tout fut englouti

Sous la vase et les marées gluantes.

 

Voilà qu’il ne reste du miracle

Que quelques meutes

De bêtes carnassières,

L’inlassable grignoterie des rats,

Le gigotement écœurant

Des vers rouges

Dans les flaques et les bourbiers,

Des déserts de bosquets épineux,

D’arbustes rachitiques aux fruits aigres.

Et puis, errant entre les fleuves rageurs,

Dormant, tapis

Dans des trous de rochers

Ou au creux mordant

De buissons ardents,

Grattant à pattes nues

Les tripes momifiées

Des carrières-concaï,

Dévorant cru quelque petit rongeur

Ou des poignées de vers de vase,

Egorgeant comme on respire

Un congénère pour lui voler ses loques

Ou son sang tiède,

Une écume surnageant

De ce qui fut la lignée humaine,

De ce qui fut vecteur d’un rêve fou,

D’un espoir fou

De réalisation d’Universelle Conscience,

Une écume impuissante,

Au bord de l’extinction,

De bêtes barbares,

Sans vision,

Sans savoirs,

Sans mémoire,

Sans langage,

Sans conscience.

 

Voilà !

Voilà !

Voilà !

La merveilleuse histoire

De l’Odyssée des hommes !

La merveilleuse sublimation

De la Dimension

De Conscience Universelle !

Beau résultat !

Quel spectacle !

Chapeau, ma salope !

Ça, c’est du travail !

 


 

Le Livre Artisanal réalisé par mes soins est visible dans la colonne "Tiroirs" à la case "Mes LIVRES". Chacun-e y est Bienvenu-e !!!

 

Denis MARULAZ extrait de  «AUX ALENTOURS DE NULLE PART » Déposé à BNF

Photos "ambiancées" de l'Auteur.