mardi, août 26, 2008

tableau de bord de "POUSSIERE"

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poussière (1)
poussière (2)
poussière (3)
poussière (4)
poussière (5)
poussière (6)
poussière (7)
poussière (8)
poussière (9)
poussière (10)
poussière (11)
poussière (12)
poussière (13)
poussière (14)
poussière (15)
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Denis Marulaz
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Texte déposé à SACD/SCALA
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poussière (15 et FIN)

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Marie revoit tout. Le dernier coup du gros caillou rond sur la serrure rouillée, le grand craquement du bois qui cède enfin, la pierre qui tombe, la porte éclatée qu'elle pousse rageusement du pied et ...l'horrible vision.
Juste le temps d'un éclair avant que tout se résolve en un éclatement de poussière qui submerge tout.
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Elle a vu, elle le voit encore, elle le jure dans ses hoquets de larmes nerveuses, ces gigantesques toiles d'araignées omniprésentes, ces cagettes superposées remplies de livres noirâtres, comme une bibliothèque de sorcier, ce manteau en lambeaux et ce vieux chapeau mité pendus à des clous, cette drôle de table avec trois pieds et une caisse en guise de quatrième, recouverte de milliers de granules noirs, du cadavre séché d'un grand rat, et d'une boite en fer dont il ne reste rien de métallique, grande comme la boite des biscuits qu'on grignote à quatre heures, avec le lait chaud, et puis, à droite, au-dessus d'une chaise renversée dont toute la paille a été dévorée par les bêtes, pendu à la poutre tordue par une corde vermoulue, un corps ! un corps, maman! un corps de monsieur tout creusé, tout maigre, avec quelques dents jaunes en guise de bouche, juste quelques petits os retenus par des fils en guise de mains, de pieds, et puis rien, rien que deux trous noirs et profonds en guise d'yeux! Je l'ai vu, maman, je l'ai vu! J'ai juste eu le temps de le voir, de voir tout ça, et c'est tombé! Je te jure, maman, tout est tombé en poudre, en poussière! Les cagettes et leurs livres, les habits, la table, la caisse, le rat et ses crottes, la boite en fer, la chaise, et le monsieur, maman, le monsieur qui est tombé comme un sac de farine noire entrainant avec lui comme des guirlandes de toiles d'araignées, avec un bruit de drap qu'on déchire. Et quand il a touché le sol, sous le choc, toute cette vieille sciure, toute cette farine noire toute cette poussière s'est soulevée, s'est gonflée en un gros nuage gris et m'a sauté dessus pour s'échapper par la porte! J'en ai eu partout, maman, plein la bouche, plein le nez, plein les yeux! Et j'ai toussé, éternué, craché, pleuré, tellement ça me piquait les yeux, et j'en ai respiré, maman, et j'en ai avalé, de cette poussière de toile d'araignée, de cette poussière de rat crevé, de cette poussière de la mort, j'en ai avalé, maman, de cette poussière d'homme pendu!
Je veux pas mourir, maman! Tu crois que je vais mourir?
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Alors, serrant bien fort ce corps convulsé d'enfant terrorisé sur sa poitrine de maman-refuge, il faut lui expliquer, à petits mots tout doux, tout roses, tout rassurants, tout tièdes, que oui, la vie est belle, merveilleuse, fleurie, empapillonnée, pleine de beaux et de moins beaux moments, de couleurs, de chants d'oiseaux, de vent frais et de larmes chagrines, mais que pour chacun ce n'est qu'un passage, mais un long passage, qu'elle n'en est qu'à son début d'histoire de petite fille, que toute sa vie est devant elle, qu'elle a tant de pages à écrire au grand livre blanc...
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Il lui faut expliquer que tout ce qui vit doit mourir un jour, que tout redevient poussière et s'en va, se coulant aux racines des arbustes et des herbes soyeuses, participer aux floraisons prochaines.
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Il faut lui expliquer que la poussière nous cerne en permanence, nous baigne. De quoi, crois-tu, est constituée la poussière dansante sur le fil du rayon de soleil qui s'infiltre, coquin, par la fente du rideau, pour t'amuser, à l'heure de la sieste? D'où provient ce film de poussière que tu m'aides à essuyer d'un chiffon doux sur les meubles du salon? Une vraie mixture de mort et de vivant! Si l'on devait en mourir!
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Il faut lui expliquer aussi que cet homme qu'elle a vu pendu, avant qu'il tombe en poussière, devait être un être malheureux, sensible, blessé par la vie, un homme qui avait dû tellement souffrir! Qui devait se sentir si seul, si abandonné! Cet homme devait être instruit, il lisait des romans, de la poésie, de la philosophie, certainement, ces caisses de livres, dans un vieux cabanon, c'était un signe, ce devait être quelqu'un de bien, un vieux sage... Un homme qui aurait plu à son père, ça, c'est sûr, quelqu'un qui connait le monde, qui le regarde bien en face! Mais ça fait souffrir, Marie, ça fait souffrir. Et un jour, quand on n'a personne avec qui partager, quand, à force de fuir, on est allé trop loin...
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Il t'a effrayée sans le vouloir, parce que tu es arrivée après, bien après son geste, qu'il t'est apparu pendu à sa corde et couvert de toiles d'araignées, mais je sais, mais je suis sûre, que s'il t'avait connue, toi, la petite fille qui aimes tant la nature, les animaux, toi qui te révoltes dès que tu sens rôder l'injustice, toi qui viens en aide de tout ton coeur à tout ce qui souffre, qui est blessé, je suis persuadée qu'il t'aurait adorée, qu'il t'aurait prise comme confidente, qu'il t'aurait appris plein de secrets du monde, qu'il aurait été ton ami. Qu'il aurait oublié ses peines.
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Si tu veux, Marie, on y retournera demain, toutes les deux, avec un gros bouquet de fleurs. Ça leur fait plaisir, aux morts, tu sais, les gros bouquets de fleurs...
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Soudain la petite redresse la tête:
« - Dans la boite! Son secret! Dans la boite rouillée! J'en suis sûre! J'en suis sûre... J'en suis s... ».
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Et, terrassée d'émotion et de fatigue, la petite fille s'abandonne au sommeil dans le chaud de sa mère. Et à ses rêves d'autres mondes, de mondes magiques, de mondes réservés aux regards des enfants innocents encore.
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,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,Fin
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.
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vendredi, août 22, 2008

debout dans la nuit...

dessin d.m.
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(Il y a des mois de cela, j'ai déposé ce poème sur l'HOMBRE... Je n'ai pas envie qu'il pourrisse au coeur des strates des feuilles mortes. Réccurence instinctive...)
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Il sera bien temps...

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Abandonne tes larmes d'homme
déchiré
aux mille vents du Monde
Hombre
il est tant de fournaises
à éteindre.
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Demain la Mer
vidée de toute vie
mèlera
son sel au tien
puisque les hommes
aux tripes débordantes
préfèrent le gain du jour
à l'eau vive
de demain.

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Dis tes mots
Hombre
sans chercher à savoir
si ta craie grince aigre
au noir du tableau.
Il sera bien temps
de te taire
et de te recueillir
quand passera
fantômatique
le train lugubre
des hécatombes.
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Tu devais écrire
Hombre
les cris des voix muettes,
que le vent fasse son oeuvre
avec tes mots
comme il joue,
farceur,
à glisser,
irritant,
le grain de sable
sous la langue assoifée
du voyageur.

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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.
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jeudi, août 21, 2008

poussière (14)

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La torpeur tiède de l'après-midi somnolent est soudainement lardée à grands coups de hurlements aigus, tranchants comme des tessons de terreur, ça remonte vivement du vallon boisé par le chemin de cailloux rêches, accompagné du rauque aboiement alarmé du gros chien noir. La campagne assoupie frémit comme sous la claque gelée d'une bise d'hiver, l'air se déchire comme découpé au rasoir.
« - Maman! Maman! Mamaaaan! »
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La mère se réveille en sursaut d'une sieste cotonneuse. Se jette, égarée entre deux mondes, sur le petit chemin du bois, empêtrée dans sa longue robe de coton, les pieds crispés pour ne pas perdre en courant les frêles escarpins qu'elle a enfilés à la va-vite, se crevant les yeux pour arracher au fouillis des arbres hirsutes la vision de sa petite.
« -Marie, Marie, où es-tu? Je suis là, Marie, je suis là! »
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Et le couple enfant-chien surgit soudain du sous-bois, là-bas, de toutes ses jambes, de toutes ses pattes, hurlant toujours à la mort, poursuivi par un diable invisible. L'enfant tombe, se relève prestement, sans s'inquiéter du sang qui sourd du genoux blessé, et reprend sa course effrénée, les bras tendus vers sa mère qu'elle vient d'apercevoir, là-haut, dans sa grande robe fuchsia, sa maman, sa maman, sa maman, enfin...
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La mère la soulève de terre, comme d'un fleuve de lave, serre sa petite très fort très fort sur sa poitrine, sa petite au visage déchiré de griffes de ronces, sanguinolent, couvert de poudre grisâtre, comme tout le reste de son corps. Comme sorti tout droit du grand cendrier des enfers.
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L'enfant n'est plus qu'une boule de détresse, lâchant le flot de ses larmes dans le cou de sa mère, les bras serrés serrés au corps chaud de son amour-maman. A l'abri, tremblante de toute son énergie, de toutes ses cellules, de toute sa terreur, hachant en reniflant des hordes de mots qui voudraient dire, qui voudraient tout dire!
« -M'man... M'man... j'ai vu. j'ai vu... pas ma faute...pas ma faute... en poussière... en poussière... pas ma faute... »
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La mère la serre davantage à son corps-refuge, sur son coeur-refuge, lui couvre les cheveux, pourtant pétris de boue grise, de baisers doux, tendres, réconfortants. Elle lui murmure au creux de l'oreille les mots éternels des mères-cocons, des mères-calins, des mères protectrices.
« - Calme-toi, mon bébé, mon trésor, mon poussin, ma puce, calme-toi, ma douce, ma chérie...maman est là , c'est fini, maman est là... ».
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Le chien, calmé depuis qu'il sait que Princesse est au chaud de la mère, ouvre tranquillement le chemin de la maison.
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Maman a déshabillé la petite, doucement, sans la lâcher, sans l'écarter d'elle, qu'elle ne se sente pas abandonnée. Elle a mis à remplir la baignoire d'eau fumante, a dissous des sel parfumés aux senteurs de fleurs fraiches. Doucement, patiemment, elle convainc sa petite de se couler dans le bain, caresse et baise ce bras qui ne veut pas se détacher de son cou.
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Petit à petit, l'enfant se détend sous la caresse de l'éponge.
« - Ferme les yeux, ma biche, je vais te laver les cheveux... Ça va, ça te pique pas? N'aie pas peur, mon coeur, je suis là, je suis là... Oh, cette griffe sur ta joue! C'est pas grave, c'est juste éraflé, c'est presque rien, mon trésor, c'est rien... On va se rincer, maintenant, tu veux? Vaut mieux pas rester dans cette eau toute noire! Allez, lève-toi, là, comme ça...».
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Tendant la paume de douche à l'enfant, la mère ouvre la bonde de la baignoire où une eau de boue grise s'évacue grassement, dans un tourbillon de trou sans fond.
L'eau claire de la douche rince le corps encore crispé de la gamine qui se cramponne toujours à sa mère.
La serviette frotte vigoureusement cet épiderme d'enfant, apuré de la couche de cendre qui le souillait. Puis la mère emmitoufle son trésor dans la douce robe de bain jaune avec une grosse tête souriante de Mickey dans le dos.
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Maman retire elle-même sa robe toute mouillée et tachée de trainées grisâtres, la glisse dans la corbeille d'osier et s'enveloppe dans sa robe de chambre. Puis elle se jette en riant sur la petite qu'elle soulève dans ses bras, la couvrant de baisers, mêlant ses larmes aux siennes, et la berçant comme le bébé qu'elle était, il n'y a pas si longtemps de cela, la conduit jusque dans sa chambre de petite fille qui rêve des autres mondes et ne supporte pas la bêtise de ses camarades d'école. La chambre d'une drôle de petite fille qui vient de vivre une drôle de rencontre dans un drôle de monde.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.
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samedi, août 16, 2008

poussière (13)

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illustration d.m.
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Dans le sein structuré, organisé, de la matière vivante, la dimension de conscience sourd en lave épaisse, compacte, bitumeuse. Ça rougeoie dans les ténèbres du froid universel, des bulles à l'épiderme pachydermique crèvent par endroit, laissant échapper de lourdes fumeroles orangées qui s'étendent par nappes au dessus de lacs d'eau salée et les ensemencent d'espoir germinatif. Comme animée d'un pouls serein, infatigable, comme dotée d'un coeur suscitant de calmes marées d'énergie au long cours, la Nature étend son empire bleu et vert, suçant à pleines racines, à pleines ventrées, les richesses minérales de la matière. Dans les ressorts secrets de ses cellules, la matière vivante désincarcère la dimension de conscience de l'agrégat des autres dimensions et la fait surgir au monde en un prodigieux appétit d'être, de sentir, de s'étendre, de se prolonger, de se tester, de conquérir, de s'amalgamer, de fusionner, de rebondir, de se libérer, de durer, de s'adapter, de vaincre, de dépasser, de se dépasser. Toute l'histoire de l'évolution des espèces procède de cette énergie libérée du coeur de la matière qui, à force de patience et d'opiniâtreté a réussi à extirper le vol majestueux du goéland à la glaise originelle!
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Lave bouillonnante, fumeroles d'espoir de semences, l'énergie de la conscience reste encore intimement arc-boutée à la charpente matérielle du monde.
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Dans l'espèce humaine, même si la « conscience d'être » s'est fourvoyée dans le labyrinthe nombriliste de la « conscience de soi », la dimension de conscience, plus finement raffinée, passe du rougeoiement de lave visqueuse au crépitement capiteux de poudre sèche, à la projection d'étincelles vives, à l'embrasement brûlant d'arcs électriques, au tissage de fils de pures lumières, à l'affleurement léger de vagues irisées.
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Chez l'humain, la dimension de conscience, endormie de toute éternité dans les cristaux et les sels des cellules, s'éveille, se distille, éclot, se déploie, irradie en ondes vibrillonnantes.
Les émotions, l'amour, la musique, la poésie, l'art, le sens de la justice, de la dignité, brûlent de ces feux-là.
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Tout comme la matière de l'être mort ne se consume pas instantanément en cendres, tout comme les cellules du corps défunt s'abandonnent aux lois du temps et de la dé-structuration, de la désagrégation, de l'éparpillement anarchique et désolidarisé de tous ses atomes au gré des pluies ou des appétits charognards, l'état de conscience n'est pas happé par le néant instantané.
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Seule la « conscience de soi » s'évanouit à la mort de l'être. La dimension de conscience universelle, elle, au gré des dilutions des cellules, des dessèchements des tissus, des désolidarisations des corpuscules, se recroqueville peu à peu, régresse de son état rayonnant à sa viscosité de lave tiédissante; les crépitements enthousiastes et pimpants de feu d'artifices font place à des craquements de branchages morts sous le poids du givre, la poudre du grand silence noir enveloppe chaque grain du corps mort d'une nuit d'encre. La dimension de conscience de chaque atome se réfugie, incognito, sagement, modestement, dans son ré-endormissement, à l'abri discret des autres dimensions de l'univers.
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Enrichie, peut-être, d'une espèce de lueur mémorielle. Peut-être. Qui sait...
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Tout ce qui a flamboyé de vie redevient poussière, poussière endormie, poussière anonyme, poussière morte, mais poussière cocon de la dimension chrysalide de la conscience universelle.
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En attente .
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En attente, en espoir, au hasard des courants d'eau, au hasard des courants d'air, d'être réinvitée au grand bal du vivant.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.

mardi, août 12, 2008

poussière (12)

illustration d.m.
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Le labrador a horreur de cet endroit-là. Depuis la première fois.
Lui, il se régale dans les fougères tendres ou au bord de la rivière, à plonger, électrisé, à la chasse aquatique aux ragondins. Il aime tant la fraicheur, s'humecter la truffe aux tendresses végétales! Mais ces ronces! Mais ces griffures. Mais ces branches raides qui vous visent aux yeux et vous accrochent méchamment les oreilles!
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Pourquoi Princesse n'a t-elle de flair que pour ce dôme noirâtre de harpons? Pourquoi Princesse s'acharne t-elle à diriger ses courses vers ces vieilles pierres d'où s'échappent des irradiations noires et rouges et aigres? Ne ressent-elle pas la malignité de ce coin du bois? Pourquoi là, pourquoi toujours là?
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Depuis qu'elle est tombée sur cet entremêlas de squelette d'arbre mort, de pierrailles oubliées et de ronçailles hirsutes, la petite fille ne pense qu'à cela. Un lieu magique, un lieu maudit, un lieu promis. Le Lieu! Le Centre du Monde! Le Mystère du Monde se cache là! Évidence! A elle offert, rien qu'à elle! Elle a même fait promettre au chien de tenir le secret! A la vie, à la mort! Si tu mens, tu vas en enfer!
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Au tout début, elle a flairé la « présence » sous la voute de ronces emberlificotant le vieil arbre mort à moitié couché. Courageusement, retenant ses larmes, lançant des imprécations à chaque griffure, elle a creusé un tunnel, à grands coups de branches mortes, dans le fouillis dentu.
Le hasard (?) a voulu que sa défriche la conduise directement à la porte de la vielle bâtisse. Une porte de bois crevassée, voilée, rêche, morte et pourtant infranchissable.
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Les vieux carreaux de verre bulleux sont intacts. Tellement bien protégés par l'épais cocon du buisson. Opaques, hermétiques aux indiscrétions. Recouverts, de l'autre côté, à l'intérieur de la cabane, d'épaisses couches de toiles d'araignées. Sur lesquelles se lyophilisent des générations de corps de mouches vides. Le regard n'y peut rien, Elle se les est arrachés, les yeux, pourtant, le nez écrasé au verre muselé, mais rien, rien ne filtre de « Dedans ».
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Et le cadenas! Masse informe de métal lépreux accroché de tout son anneau granuleux aux deux pitons bavant de rouille sanguinolente! Il y tient, au secret du lieu! Il s'y accroche, à sa mission de gardien du Temple! Elle a eu beau se le tordre, se le contorsionner, s'y agripper de toute sa hargne et s'y arracher la peau, ça n'a pas lâchè, rien n'a bougé, le Mystère du Monde de la Cabane lui reste inaccessible. Peut-être même lui lance t-il un défit! Ou bien, oui oui, elle a été choisie, elle est celle qui révèlera l'autre côté de la réalité, le vrai côté du Monde, mais il faut surmonter l'épreuve, se montrer digne!
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C'est cela! Il faut qu'elle se surpasse, qu'elle impose sa force, ce serait trop simple d'y accéder juste par hasard! Encore faut-il vaincre! Encore faut-il tout donner, arracher le droit de franchir les passerelles d'entre les Mondes!
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A ce jeu-là , les outils simples de la branche morte ou du caillou hasardeux ne sont pas de taille. Elle l'a compris. Il lui faut se montrer supérieure, plus maligne, impressionnante. Volontariste, hargneuse, mauvaise, convaincante, déterminée.
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Et elle s'est rappelée son père, au gymnase, le jour où il avait oublié la clé de son vestiaire.
« - Y'a plus qu'à repartir? avait-elle demandé.
-T'inquiète, ma puce, si j't'ai promis qu'on f'sait gym, c'est qu'on f'ra gym! C'est quand même pas un bout de ferraille qui va nous empêcher!»
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Et tout simplement, la grande silhouette de l'homme suprême était allée jusqu'à l'auto, suivie comme son ombre par la fillette, avait ouvert le coffre, retiré un marteau de la boite à outils et était revenue devant le cadenas du placard. Une inspiration d'haltérophile, et le bras se levait et s'abaissait brusquement sur la pièce métallique.
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BLANG!
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Le cadenas se glissait pantelant dans la main du héros et la porte s'ouvrait comme par miracle et la séance de gym pétillait ce soir-là d'un petit grésillement narquois d'instant volé à l'adversité.
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La gamine se glisse dans l'étroit corridor tentaculaire et épineux. Le chien reste en arrière, grognant, la queue entre les jambes.
Toujours là , ce débile de cadenas rouillé, imbécile, empêchant l'accès au « Monde Vert », accroché à ses deux pitons piteux comme les petits chatons aux mamelles rouges de la Ronronnette.
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La voilà collée à la porte sèche. Un regard, comme pour surprendre la mesure de l'Inconnu, au travers des vitrages brouillés qui ne laissent rien passer, un petit sourire en coin qui raille:
« - vous pouvez toujours la faire, votre toile d'araignée toute grise, toute que rien pas même la lumière elle passe, j'vais vous l'ouvrir c'te porte, et vous servirez plus à rien, avec vos mouches crevées que même pas j'en ai peur, des mouches et de la peste qui mijote dans leur boyaux tout secs! ».
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Et le petit bras frêle se lève, et s'abat, tenant le marteau de sa main crispée et nerveuse. Et ça tape juste à côté. Alors le geste est renouvelé, avec hargne, et VLAN! Et VLAN! Quatre, cinq fois, six fois. Et enfin ce grumeau de métal mort qui s'effondre, pitoyable, aux pieds de la petite.
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«- C'est quand-même pas un bout de ferraille qui va nous empêcher!! » s'amuse t-elle.
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Le marteau est jeté au sol, la gamine saisit la poignée de la porte, pousse, pousse, pousse.
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Rien.
C'est fermé de l'intérieur!
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Désarrois, haine, rage, tempête, larmes.
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Puis le marteau, de nouveau, dans la chair momifiée du bois, mais ça ne cède pas, alors, la grosse pierre ronde qui dort sous la mousse, qui fait sa lourdasse un instant, mal réveillée, puis qui finit par s'apprivoiser à la poigne de l'enfant et qui prête gentiment sa force d'inertie.
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Et BOUM! Et BOUM!
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Ça grince, ça miaule, ça crouicouille et soudain, il est un temps où tout se rend à merci, ça craque et ça se déchire de haut en bas.
La pierre tombe au sol.
Le chien hurle de terreur et s'enfuit.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.

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lundi, août 11, 2008

"Avec plaisir, monsieur le Poète!"

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Automne 2005 à Forcalquier, où j'habite pour encore quelques mois, se prépare la "Fête du Livre d'Artiste". Je hante depuis deux ans cette petite ville des Alpes de Haute-Provence avec mon chariot tout beau et mes bouquins de bouts de ficelles. Ca fait marrer tout le monde et rares sont mes supporters. Mais il y en a, heureusement.
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J'insiste assez lourdement pour pouvoir participer à cette manifestation haut de gamme et Sophie, une des organisatrices, me demande de présenter un dossier de candidature.
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Alors, à main levée, j'ai gribouillé ça (plus le texte qui suit).
Et l'association "Forcalquier des livres" a eu la gentillesse de m'ouvrir la porte.
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Comme quoi, on peut dire OUI à un simple poète inconnu des hautes sphères! C'est pas plus dur que de dire NON, et ça crée des liens autrement plus sympathiques et constructifs!
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Je vous raconte ça parce que je viens de retrouver ces documents dans un vieux classeur alors que je suis en train de monter un dossier sur mon travail d' "ECRIVEUR".
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Versé au dossier!!!








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"Ça fait cinquante ans que j’ai déboulé dans l’ordre chaotique de l’aventure humaine, alors que j’avais rien demandé à personne, et ça fait cinquante ans que je comprends rien à la règle du jeu puisqu’ y paraît qu’ y en a une (ou des…) on sait pas trop mais on fait tout comme. J’ai fait pendant des années un boulot qui vide la tête et remplit la gamelle puis j’ai largué ces chaînes parce qu’il y a des limites à l’inacceptable et que j’ai qu’une vie et qu’on a pas à me la voler, comme ça, pour une bouchée de pain et même pour plusieurs. Educ, je suis devenu, avec des toxicomanes et des largués de toute sorte. Ça donne à penser, ça donne à comprendre, ça donne à partager et à témoigner et comme j’ai pas ma plume dans ma poche et que des potes théâtreux recherchaient des textes qui parlent de la vraie vie, banco ! ai-je répondu et des pièces sont sorties de mon cœur, pleines de larmes, de rires, de bisous et de coups de pied au cul. Des contes poétiques, aussi, je tricote, qui font pas trop dans la guimauve, si je puis dire, et où, pourtant, on rencontre des gens aux yeux brillants d’amour et des graines qui demandent qu’à germer sous le soleil. Comme j’ai jamais rencontré quelqu’un qui accepte de faire des bouquins avec mon travail d’écriture et que j’ai pas de temps à perdre en vaines sollicitations, je suis passé à l’acte de la fabrication et de la distribution de mes livres. Rencontres théâtrales, fêtes du livre, fêtes de plein de choses, je déambule avec mon présentoir à roulettes et je rencontre avec grand plaisir des tas de gens intrigués par ma démarche autonome. Et par le fait qu'ils se reconnaissent souvent dans mes petits personnages, pas si petits que ça, en somme!"
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mercredi, août 06, 2008

épouvantails aïe aïe aïe!!!

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Dimanche, donc, VIRICELLES, dans la Loire.
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Le village, depuis des années, organise la Fête des épouvantails. On en trouve dans toutes les rues, les jardins, dans la campagne. On sent que tout le monde s'est bien amusé et que c'est rodé.
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De la musique, du chant, un défilé, des buvettes bien chargées... ça tourne.
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Beaucoup de monde aussi.
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Dans la cour de l'école communale, deux "chapiteaux" accueillent le "PREAU LIVRES" qui regroupe une vingtaine d'auteurs et leurs ouvrages. Pas de têtes d'affiche, pas de vedettes.
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La journée est longue, très longue. Ce qui se vend, ce qui attire le lecteur, comme souvent dans ce genre de manifestation de village: le livre de terroir. Attention, pas de n'importe quel terroir: le terroir d'ici!
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Que ce soit ouvrage historique, recueil d'anecdotes, roman, nouvelles, poésie... il faut que ça parle de cheu nous!
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Le reste n'éxiste pas!
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Alors moi, avec mon théâtre qui parle de gamines de la DDASS, de femme maltraitée, de singe battu et de rois débiles, je peux toujours repasser! Même si tout le monde s'accorde à reconnaitre la belle esthétique de mes bouquins.
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Heureusement, une fillette a tilté sur "Y PARLE!!", pièce pour jeunes acteurs et très belle histoire de solidarité. Elle m'a sauvé ma journée et je l'en remercie encore une fois.
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Heureusement aussi, pas d'orage, ce coup-ci, pour ajouter la panique à l'ecoeurement.
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Y faut vraiment que je trouve d'autres débouchés pour mes écrits que ces rencontres où la vraie littérature n'a, en fait, pas sa place.
Vaste programme!!!
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lundi, août 04, 2008

poussière (11)

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« ... L'Homme s'est vu confier, offrir en charge, en responsabilité, l'émancipation, le déploiement à ciel ouvert, de cette force de générosité et d'amour vivant. Il est l'être par qui l'Amour se veut regarder Aimer. Par qui le monde se sait monde vivant.
Mais le miracle a tourné court .
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Parce que la bête humaine concentre son attention exclusivement autour de son propre nombril, à rassasier ses propres appétits, à gérer ses liens au monde dans l'unique satisfaction de sa jouissance.
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L'Homme qui sait désormais ressentir la profondeur de ses envies, de ses ambitions, de ses frustrations, de ses jalousies, l'Homme qui croit que lui a été accordé tout droit sur toute chose, l'Homme qui croit, maître de ce monde, pouvoir dévorer la chair de la Terre à pleines ventrées, l'Homme délié des limitations instinctives de l'animal, ignorant les équilibres fragiles et nécessaires à la survie de la matière vivante, l'Homme a étendu son empire et son emprise sur la totalité de la surface du globe et sa voracité n'en laisse intacte aucune parcelle.
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L'Homme, avec sa conscience dominatrice sans tabous et sans scrupules, rongé par ses appétits incontrôlables, s'est mis à broyer systématiquement le monde. Tout est mis au pas, tout doit se tordre à sa main, tout doit se plier à son service, à sa volonté, à sa jouissance.
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La Conscience d'être est devenue, en l'Homme, Conscience de Soi. Là où la Nature devait trouver un « Miroir d'Amour et de Contemplation », elle s'est fracassée dans un anthropocentrisme ravageur et suicidaire.
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Et si encore cette espèce conquérante, impérialiste et dénuée de toute solidarité envers la Nature-Mère montrait les signes les plus espérés et les plus naturels de rapports fraternels, solidaires, protecteurs, constructifs, respectueux entre tous ses membres, on pourrait penser que tout n'est pas perdu, que tout n'est pas si mauvais, qu'il y a encore matière à espérer, on pourrait se dire qu'on est au milieu du gué, que ce qui relie fortement les humains entre eux les réconciliera inéluctablement avec le reste de la Vie !
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Mais ce n'est pas le cas! Le jeu des dominations, des dévorations, des mises au pas, des appétits dévoyés, des broiements de corps et d'esprit, le jeu des invasions, des exclusions, des guerres de territoires, des guerres économiques, tout démontre, depuis l'aurore de l'Humanité que cet animal au cerveau hypertrophié est une espèce maudite, que l'on ne peut s'attendre qu'au pire de sa part et que tout espoir est illusion.
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Qu'attendre d'êtres qui noient leurs frères dans le sang, qui affament sciemment leurs semblables, qui déchiquettent leurs enfants et les envoient au massacre? Qui leur dénient leur droit à la dignité pour en faire les esclaves robotisés de la dictature économique? Qu'attendre d'êtres qui se donnent les outils irresponsables de l'immortalité, de la multiplication exponentielle de sa population? Qu'attendre? Quel espoir nourrir?
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La Conscience universelle a fleuri chez un monstre et le Monde vivant en périra peut-être. Sûrement.
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Je ne traine ma carcasse depuis des ans et des ans que dans cette idée-là et cela me ronge. Me détruit. Mon coeur est plaie ouverte. La honte, le dégoût que m'inspire ma propre appartenance à l'humanité, le sentiment omniprésent de participer, du seul fait de mon humanitude, à un crime contre la Nature, contre la Vie, le sentiment, aussi, d'avoir concouru à transformer un espoir de Symphonie Universelle en criailleries et grondements infernaux, tout cela, je ne puis plus le supporter et j'ai décidé de soulager ma chère planète du poids de ma présence et de rendre un peu de conscience usurpée à la virginité de son enveloppe de matière dévivifiée.
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Je n'ai personne au monde. Il y a longtemps que je ne me donne plus, comme seuls compagnons, que ces braves bêtes de poules, de chats et autres petits coeurs purs qui, sans le savoir et sans prétention, innocemment, sont la vraie beauté de la vie.
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Je les remercie de m'avoir accueilli dans leur univers simple où le bonheur suprême consiste à grignoter les mêmes miettes, à dormir sous le même soleil.
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Je sais, je le reconnais avec plaisir, sincèrement, que parmi les humains, il se trouve des milliers, des millions de gens beaux comme tout, scintillants, généreux, ouverts, fraternels, protecteurs, combatifs, debout.
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Je sais que des mères s'interposent, que des hommes se dressent, que des idées germent et murissent pour des moissons d'utopie. Je sais.
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Ce sera ma consolation.
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Je sais. Mais je crois le combat perdu.
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Je ne suis plus capable que de souffrir et de pleurer.
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Je ne veux plus être un homme. »
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Le vieux vagabond, ancré depuis quelques années aux pierres rongées du cabanon oublié dans un coin de bois en jachère, entouré de quelques poules à moitié déplumées et de trois ou quatre chats indolents, a écrit sa lettre de la pointe grisâtre d'un reste de crayon de maçon sur trois carrés de carton découpés de boites de nouilles vides.
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Il a rédigé son message d'une traite. S'arrêtant juste de temps à autre pour se désaltérer d'une gorgée d'infusion froide.
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Son message sans destinataire.
Son testament sans héritier.
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Message d'un homme seul à une humanité dont il ne veut plus être le fils.
Testament de larmes et de regrets à une humanité qui ne sait lire ni les larmes ni les regrets.
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Le vieux enferme les feuillets dans une boite en fer qu'il a vidée auparavant de sa « collection » de clous rouillés. Il place celle-ci au milieu de la table.
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Il se lève. Fait sortir de la pièce les poules, les chats. S'enferme seul à l'intérieur. De son canif, il descelle un petit carreau de la porte, glisse sa main à l'extérieur et, après un peu de tâtonnement,à l'aveuglette, parvient à fixer à deux pitons préalablement vissés, sur la porte et le chambranle, un cadenas de laiton brillant comme un soleil. Il rentre son bras, rescelle le carreau. Tourne la grosse clé jusqu'au bout de ses deux tours dans la vieille serrure.
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La corde de chanvre pend déjà à la poutre faîtière.
Plus qu'à ôter sa chemise.
Plus qu'à se hisser sur la chaise.
La tête se glisse dans la « cravate ».
un dernier regard sur les rais de soleil qui filtrent entre les tuiles et dans lesquels valsent des milliards de corpuscules irisés.
Il ferme les yeux.
Serrés serrés.
Une larme glisse le long du nez.
Coup de pied.
La chaise bascule.
La corde se tend.
La Loi de la pesanteur fait son oeuvre, sans ciller, sans chercher à comprendre, sans chercher à savoir, toute bête qu'elle est.
Quelques gigotements nerveux.
Un raidissement.
Puis le corps qui lâche prise.
C'est fini.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA
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samedi, août 02, 2008

pause campagne

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Salut, amis. Petite pause dans l'ouverture des pages de "POUSSIERE". On arrive au gros morceau de cette nouvelle. Le temps a sa part à l'affaire. Alors...
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En attendant, voici la dernière affiche que j'ai créée spécialement pour le "Festival de l'Epouvantail" de VIRICELLES, dans la Loire, où je me rends demain avec mes bouquins.
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J'espère vraiment que ça ne finira pas comme la dernière fois à BRANGUES, sous un déluge d'eau mouillée et mouillante, si ous voyez ce que je veux dire.
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Mais bon, il y aura des amis, alors!
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