jeudi, août 21, 2008

poussière (14)

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La torpeur tiède de l'après-midi somnolent est soudainement lardée à grands coups de hurlements aigus, tranchants comme des tessons de terreur, ça remonte vivement du vallon boisé par le chemin de cailloux rêches, accompagné du rauque aboiement alarmé du gros chien noir. La campagne assoupie frémit comme sous la claque gelée d'une bise d'hiver, l'air se déchire comme découpé au rasoir.
« - Maman! Maman! Mamaaaan! »
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La mère se réveille en sursaut d'une sieste cotonneuse. Se jette, égarée entre deux mondes, sur le petit chemin du bois, empêtrée dans sa longue robe de coton, les pieds crispés pour ne pas perdre en courant les frêles escarpins qu'elle a enfilés à la va-vite, se crevant les yeux pour arracher au fouillis des arbres hirsutes la vision de sa petite.
« -Marie, Marie, où es-tu? Je suis là, Marie, je suis là! »
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Et le couple enfant-chien surgit soudain du sous-bois, là-bas, de toutes ses jambes, de toutes ses pattes, hurlant toujours à la mort, poursuivi par un diable invisible. L'enfant tombe, se relève prestement, sans s'inquiéter du sang qui sourd du genoux blessé, et reprend sa course effrénée, les bras tendus vers sa mère qu'elle vient d'apercevoir, là-haut, dans sa grande robe fuchsia, sa maman, sa maman, sa maman, enfin...
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La mère la soulève de terre, comme d'un fleuve de lave, serre sa petite très fort très fort sur sa poitrine, sa petite au visage déchiré de griffes de ronces, sanguinolent, couvert de poudre grisâtre, comme tout le reste de son corps. Comme sorti tout droit du grand cendrier des enfers.
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L'enfant n'est plus qu'une boule de détresse, lâchant le flot de ses larmes dans le cou de sa mère, les bras serrés serrés au corps chaud de son amour-maman. A l'abri, tremblante de toute son énergie, de toutes ses cellules, de toute sa terreur, hachant en reniflant des hordes de mots qui voudraient dire, qui voudraient tout dire!
« -M'man... M'man... j'ai vu. j'ai vu... pas ma faute...pas ma faute... en poussière... en poussière... pas ma faute... »
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La mère la serre davantage à son corps-refuge, sur son coeur-refuge, lui couvre les cheveux, pourtant pétris de boue grise, de baisers doux, tendres, réconfortants. Elle lui murmure au creux de l'oreille les mots éternels des mères-cocons, des mères-calins, des mères protectrices.
« - Calme-toi, mon bébé, mon trésor, mon poussin, ma puce, calme-toi, ma douce, ma chérie...maman est là , c'est fini, maman est là... ».
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Le chien, calmé depuis qu'il sait que Princesse est au chaud de la mère, ouvre tranquillement le chemin de la maison.
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Maman a déshabillé la petite, doucement, sans la lâcher, sans l'écarter d'elle, qu'elle ne se sente pas abandonnée. Elle a mis à remplir la baignoire d'eau fumante, a dissous des sel parfumés aux senteurs de fleurs fraiches. Doucement, patiemment, elle convainc sa petite de se couler dans le bain, caresse et baise ce bras qui ne veut pas se détacher de son cou.
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Petit à petit, l'enfant se détend sous la caresse de l'éponge.
« - Ferme les yeux, ma biche, je vais te laver les cheveux... Ça va, ça te pique pas? N'aie pas peur, mon coeur, je suis là, je suis là... Oh, cette griffe sur ta joue! C'est pas grave, c'est juste éraflé, c'est presque rien, mon trésor, c'est rien... On va se rincer, maintenant, tu veux? Vaut mieux pas rester dans cette eau toute noire! Allez, lève-toi, là, comme ça...».
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Tendant la paume de douche à l'enfant, la mère ouvre la bonde de la baignoire où une eau de boue grise s'évacue grassement, dans un tourbillon de trou sans fond.
L'eau claire de la douche rince le corps encore crispé de la gamine qui se cramponne toujours à sa mère.
La serviette frotte vigoureusement cet épiderme d'enfant, apuré de la couche de cendre qui le souillait. Puis la mère emmitoufle son trésor dans la douce robe de bain jaune avec une grosse tête souriante de Mickey dans le dos.
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Maman retire elle-même sa robe toute mouillée et tachée de trainées grisâtres, la glisse dans la corbeille d'osier et s'enveloppe dans sa robe de chambre. Puis elle se jette en riant sur la petite qu'elle soulève dans ses bras, la couvrant de baisers, mêlant ses larmes aux siennes, et la berçant comme le bébé qu'elle était, il n'y a pas si longtemps de cela, la conduit jusque dans sa chambre de petite fille qui rêve des autres mondes et ne supporte pas la bêtise de ses camarades d'école. La chambre d'une drôle de petite fille qui vient de vivre une drôle de rencontre dans un drôle de monde.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu sais, hombre, quand je te lis ... et bien , il me semble bien que je suis l' enfant et aimerais parfois retrouver même à 48 ans ces " bras de mère protectrice " , à mon âge, plutôt, au moins une fois dans ma vie, cette sensation de trêve au sein d'un homme ;-))

Anonyme a dit…

Je te souhaite de tout coeur ces escales de tendresse et de repos. C'est si dur de vivre sans cela. Et pourtant...
Bisous à toi.