lundi, août 04, 2008

poussière (11)

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« ... L'Homme s'est vu confier, offrir en charge, en responsabilité, l'émancipation, le déploiement à ciel ouvert, de cette force de générosité et d'amour vivant. Il est l'être par qui l'Amour se veut regarder Aimer. Par qui le monde se sait monde vivant.
Mais le miracle a tourné court .
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Parce que la bête humaine concentre son attention exclusivement autour de son propre nombril, à rassasier ses propres appétits, à gérer ses liens au monde dans l'unique satisfaction de sa jouissance.
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L'Homme qui sait désormais ressentir la profondeur de ses envies, de ses ambitions, de ses frustrations, de ses jalousies, l'Homme qui croit que lui a été accordé tout droit sur toute chose, l'Homme qui croit, maître de ce monde, pouvoir dévorer la chair de la Terre à pleines ventrées, l'Homme délié des limitations instinctives de l'animal, ignorant les équilibres fragiles et nécessaires à la survie de la matière vivante, l'Homme a étendu son empire et son emprise sur la totalité de la surface du globe et sa voracité n'en laisse intacte aucune parcelle.
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L'Homme, avec sa conscience dominatrice sans tabous et sans scrupules, rongé par ses appétits incontrôlables, s'est mis à broyer systématiquement le monde. Tout est mis au pas, tout doit se tordre à sa main, tout doit se plier à son service, à sa volonté, à sa jouissance.
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La Conscience d'être est devenue, en l'Homme, Conscience de Soi. Là où la Nature devait trouver un « Miroir d'Amour et de Contemplation », elle s'est fracassée dans un anthropocentrisme ravageur et suicidaire.
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Et si encore cette espèce conquérante, impérialiste et dénuée de toute solidarité envers la Nature-Mère montrait les signes les plus espérés et les plus naturels de rapports fraternels, solidaires, protecteurs, constructifs, respectueux entre tous ses membres, on pourrait penser que tout n'est pas perdu, que tout n'est pas si mauvais, qu'il y a encore matière à espérer, on pourrait se dire qu'on est au milieu du gué, que ce qui relie fortement les humains entre eux les réconciliera inéluctablement avec le reste de la Vie !
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Mais ce n'est pas le cas! Le jeu des dominations, des dévorations, des mises au pas, des appétits dévoyés, des broiements de corps et d'esprit, le jeu des invasions, des exclusions, des guerres de territoires, des guerres économiques, tout démontre, depuis l'aurore de l'Humanité que cet animal au cerveau hypertrophié est une espèce maudite, que l'on ne peut s'attendre qu'au pire de sa part et que tout espoir est illusion.
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Qu'attendre d'êtres qui noient leurs frères dans le sang, qui affament sciemment leurs semblables, qui déchiquettent leurs enfants et les envoient au massacre? Qui leur dénient leur droit à la dignité pour en faire les esclaves robotisés de la dictature économique? Qu'attendre d'êtres qui se donnent les outils irresponsables de l'immortalité, de la multiplication exponentielle de sa population? Qu'attendre? Quel espoir nourrir?
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La Conscience universelle a fleuri chez un monstre et le Monde vivant en périra peut-être. Sûrement.
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Je ne traine ma carcasse depuis des ans et des ans que dans cette idée-là et cela me ronge. Me détruit. Mon coeur est plaie ouverte. La honte, le dégoût que m'inspire ma propre appartenance à l'humanité, le sentiment omniprésent de participer, du seul fait de mon humanitude, à un crime contre la Nature, contre la Vie, le sentiment, aussi, d'avoir concouru à transformer un espoir de Symphonie Universelle en criailleries et grondements infernaux, tout cela, je ne puis plus le supporter et j'ai décidé de soulager ma chère planète du poids de ma présence et de rendre un peu de conscience usurpée à la virginité de son enveloppe de matière dévivifiée.
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Je n'ai personne au monde. Il y a longtemps que je ne me donne plus, comme seuls compagnons, que ces braves bêtes de poules, de chats et autres petits coeurs purs qui, sans le savoir et sans prétention, innocemment, sont la vraie beauté de la vie.
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Je les remercie de m'avoir accueilli dans leur univers simple où le bonheur suprême consiste à grignoter les mêmes miettes, à dormir sous le même soleil.
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Je sais, je le reconnais avec plaisir, sincèrement, que parmi les humains, il se trouve des milliers, des millions de gens beaux comme tout, scintillants, généreux, ouverts, fraternels, protecteurs, combatifs, debout.
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Je sais que des mères s'interposent, que des hommes se dressent, que des idées germent et murissent pour des moissons d'utopie. Je sais.
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Ce sera ma consolation.
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Je sais. Mais je crois le combat perdu.
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Je ne suis plus capable que de souffrir et de pleurer.
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Je ne veux plus être un homme. »
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Le vieux vagabond, ancré depuis quelques années aux pierres rongées du cabanon oublié dans un coin de bois en jachère, entouré de quelques poules à moitié déplumées et de trois ou quatre chats indolents, a écrit sa lettre de la pointe grisâtre d'un reste de crayon de maçon sur trois carrés de carton découpés de boites de nouilles vides.
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Il a rédigé son message d'une traite. S'arrêtant juste de temps à autre pour se désaltérer d'une gorgée d'infusion froide.
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Son message sans destinataire.
Son testament sans héritier.
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Message d'un homme seul à une humanité dont il ne veut plus être le fils.
Testament de larmes et de regrets à une humanité qui ne sait lire ni les larmes ni les regrets.
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Le vieux enferme les feuillets dans une boite en fer qu'il a vidée auparavant de sa « collection » de clous rouillés. Il place celle-ci au milieu de la table.
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Il se lève. Fait sortir de la pièce les poules, les chats. S'enferme seul à l'intérieur. De son canif, il descelle un petit carreau de la porte, glisse sa main à l'extérieur et, après un peu de tâtonnement,à l'aveuglette, parvient à fixer à deux pitons préalablement vissés, sur la porte et le chambranle, un cadenas de laiton brillant comme un soleil. Il rentre son bras, rescelle le carreau. Tourne la grosse clé jusqu'au bout de ses deux tours dans la vieille serrure.
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La corde de chanvre pend déjà à la poutre faîtière.
Plus qu'à ôter sa chemise.
Plus qu'à se hisser sur la chaise.
La tête se glisse dans la « cravate ».
un dernier regard sur les rais de soleil qui filtrent entre les tuiles et dans lesquels valsent des milliards de corpuscules irisés.
Il ferme les yeux.
Serrés serrés.
Une larme glisse le long du nez.
Coup de pied.
La chaise bascule.
La corde se tend.
La Loi de la pesanteur fait son oeuvre, sans ciller, sans chercher à comprendre, sans chercher à savoir, toute bête qu'elle est.
Quelques gigotements nerveux.
Un raidissement.
Puis le corps qui lâche prise.
C'est fini.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un texte qui dit et ramène à ma mémoire des visages croisés qui ont eu ce même geste et je repense à Christine, à elle qui aussi aimait trop la beauté et l' Amour que pour vivre, à mon frère, à tant d' autres encore et je les vois avancer en cohorte vers moi, même pas peur, juste ils passent, tournent la tête de ce côté et sourient tristement car rien n' a été résolu pour autant ... Alors, je me lève, encore et encore et je signe pour la vie, plus que jamais guerrière pacifique, debout ... encore et encore ...

Anonyme a dit…

PS J' ai réouvert un à un les tiroirs de poussière, du premier au dernier ... Pourquoi ai - je pensé l' Homme poussière avant de relire ?

Anonyme a dit…

Excuse-moi, Mich', de faire ressurgir en toi ces personnes que tu as aimés et que tu aimes à jamais. Je savais en déposant ce texte que tu serais touchée et blessée dans tes drames intimes, mais je suis là pour dire à tous que le monde qu'on "construit" si laid pousse des humains au désespoir irréparable. Tu signes pour la vie et je te comprends, mais moi je dis que cette Vie est tellement miraculeuse, tellement précieuse qu'on ne peut accepter de la voir bradée, réduite aux tristes crapotements humains. En deux siècles on a détruit les deux tiers des espèces existantes. On continue, sous prétexte que l'humanité est sacrée dans tous ses faits et gestes?
Je hais l'humanité quand elle se conduit en parasite et je ma hais dans mon humanitude.
Dans quelques décénnies, on aura peut-être effacé toute vie de la surface du globe. De quel droit, nom de dieu, de quel droit? Et qu'y a t-il de sacré dans la perpétuation de ce crime?
Mon "vieux" préfère ne pas voir ça, ne plus être complice. Effacer sa part d'humanité. Ca n'empèchera pas le crime, ça arrête la souffrance.
Je ne peux plus être innocent. Béat.
L'innocence est réservée aux animaux. Parce qu'ils ont eu la chance de ne pas être "choisis"!
Du fond de mes blessures, je t'embrasse, Mich', et te remercie pour ta foi.
Denis