mardi, août 12, 2008

poussière (12)

illustration d.m.
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Le labrador a horreur de cet endroit-là. Depuis la première fois.
Lui, il se régale dans les fougères tendres ou au bord de la rivière, à plonger, électrisé, à la chasse aquatique aux ragondins. Il aime tant la fraicheur, s'humecter la truffe aux tendresses végétales! Mais ces ronces! Mais ces griffures. Mais ces branches raides qui vous visent aux yeux et vous accrochent méchamment les oreilles!
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Pourquoi Princesse n'a t-elle de flair que pour ce dôme noirâtre de harpons? Pourquoi Princesse s'acharne t-elle à diriger ses courses vers ces vieilles pierres d'où s'échappent des irradiations noires et rouges et aigres? Ne ressent-elle pas la malignité de ce coin du bois? Pourquoi là, pourquoi toujours là?
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Depuis qu'elle est tombée sur cet entremêlas de squelette d'arbre mort, de pierrailles oubliées et de ronçailles hirsutes, la petite fille ne pense qu'à cela. Un lieu magique, un lieu maudit, un lieu promis. Le Lieu! Le Centre du Monde! Le Mystère du Monde se cache là! Évidence! A elle offert, rien qu'à elle! Elle a même fait promettre au chien de tenir le secret! A la vie, à la mort! Si tu mens, tu vas en enfer!
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Au tout début, elle a flairé la « présence » sous la voute de ronces emberlificotant le vieil arbre mort à moitié couché. Courageusement, retenant ses larmes, lançant des imprécations à chaque griffure, elle a creusé un tunnel, à grands coups de branches mortes, dans le fouillis dentu.
Le hasard (?) a voulu que sa défriche la conduise directement à la porte de la vielle bâtisse. Une porte de bois crevassée, voilée, rêche, morte et pourtant infranchissable.
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Les vieux carreaux de verre bulleux sont intacts. Tellement bien protégés par l'épais cocon du buisson. Opaques, hermétiques aux indiscrétions. Recouverts, de l'autre côté, à l'intérieur de la cabane, d'épaisses couches de toiles d'araignées. Sur lesquelles se lyophilisent des générations de corps de mouches vides. Le regard n'y peut rien, Elle se les est arrachés, les yeux, pourtant, le nez écrasé au verre muselé, mais rien, rien ne filtre de « Dedans ».
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Et le cadenas! Masse informe de métal lépreux accroché de tout son anneau granuleux aux deux pitons bavant de rouille sanguinolente! Il y tient, au secret du lieu! Il s'y accroche, à sa mission de gardien du Temple! Elle a eu beau se le tordre, se le contorsionner, s'y agripper de toute sa hargne et s'y arracher la peau, ça n'a pas lâchè, rien n'a bougé, le Mystère du Monde de la Cabane lui reste inaccessible. Peut-être même lui lance t-il un défit! Ou bien, oui oui, elle a été choisie, elle est celle qui révèlera l'autre côté de la réalité, le vrai côté du Monde, mais il faut surmonter l'épreuve, se montrer digne!
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C'est cela! Il faut qu'elle se surpasse, qu'elle impose sa force, ce serait trop simple d'y accéder juste par hasard! Encore faut-il vaincre! Encore faut-il tout donner, arracher le droit de franchir les passerelles d'entre les Mondes!
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A ce jeu-là , les outils simples de la branche morte ou du caillou hasardeux ne sont pas de taille. Elle l'a compris. Il lui faut se montrer supérieure, plus maligne, impressionnante. Volontariste, hargneuse, mauvaise, convaincante, déterminée.
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Et elle s'est rappelée son père, au gymnase, le jour où il avait oublié la clé de son vestiaire.
« - Y'a plus qu'à repartir? avait-elle demandé.
-T'inquiète, ma puce, si j't'ai promis qu'on f'sait gym, c'est qu'on f'ra gym! C'est quand même pas un bout de ferraille qui va nous empêcher!»
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Et tout simplement, la grande silhouette de l'homme suprême était allée jusqu'à l'auto, suivie comme son ombre par la fillette, avait ouvert le coffre, retiré un marteau de la boite à outils et était revenue devant le cadenas du placard. Une inspiration d'haltérophile, et le bras se levait et s'abaissait brusquement sur la pièce métallique.
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BLANG!
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Le cadenas se glissait pantelant dans la main du héros et la porte s'ouvrait comme par miracle et la séance de gym pétillait ce soir-là d'un petit grésillement narquois d'instant volé à l'adversité.
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La gamine se glisse dans l'étroit corridor tentaculaire et épineux. Le chien reste en arrière, grognant, la queue entre les jambes.
Toujours là , ce débile de cadenas rouillé, imbécile, empêchant l'accès au « Monde Vert », accroché à ses deux pitons piteux comme les petits chatons aux mamelles rouges de la Ronronnette.
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La voilà collée à la porte sèche. Un regard, comme pour surprendre la mesure de l'Inconnu, au travers des vitrages brouillés qui ne laissent rien passer, un petit sourire en coin qui raille:
« - vous pouvez toujours la faire, votre toile d'araignée toute grise, toute que rien pas même la lumière elle passe, j'vais vous l'ouvrir c'te porte, et vous servirez plus à rien, avec vos mouches crevées que même pas j'en ai peur, des mouches et de la peste qui mijote dans leur boyaux tout secs! ».
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Et le petit bras frêle se lève, et s'abat, tenant le marteau de sa main crispée et nerveuse. Et ça tape juste à côté. Alors le geste est renouvelé, avec hargne, et VLAN! Et VLAN! Quatre, cinq fois, six fois. Et enfin ce grumeau de métal mort qui s'effondre, pitoyable, aux pieds de la petite.
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«- C'est quand-même pas un bout de ferraille qui va nous empêcher!! » s'amuse t-elle.
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Le marteau est jeté au sol, la gamine saisit la poignée de la porte, pousse, pousse, pousse.
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Rien.
C'est fermé de l'intérieur!
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Désarrois, haine, rage, tempête, larmes.
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Puis le marteau, de nouveau, dans la chair momifiée du bois, mais ça ne cède pas, alors, la grosse pierre ronde qui dort sous la mousse, qui fait sa lourdasse un instant, mal réveillée, puis qui finit par s'apprivoiser à la poigne de l'enfant et qui prête gentiment sa force d'inertie.
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Et BOUM! Et BOUM!
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Ça grince, ça miaule, ça crouicouille et soudain, il est un temps où tout se rend à merci, ça craque et ça se déchire de haut en bas.
La pierre tombe au sol.
Le chien hurle de terreur et s'enfuit.
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

ça c' est bien malin, Hombre de nous laisser là devant ... on ne sait quoi ... alors, je ne ^pars pas comme le chien, je furette, je suputte , je cherche des indices ... je flaire comme un chien, comme une chienne - ah, salut Ferré, t' es là toi aussi ... mais je te dirai pas ce que je vois ... Na ... Tu l' as bien cherché ...

Anonyme a dit…

Salut Kaïkan, le suspence est insoutenable, n'est-ce pas?
Pour patienter, n'oublie pas que les ronciers sont chargés de bonnes mûres bien juteuses!
Bonne journée à toi!