samedi, juillet 12, 2008

poussière (5)

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« -Tu vas pas loin, au moins?
-Mais non, j't'ai déjà dit! On va juste dans le petit bois, tu l'vois d'ici!
-Fais attention quand-même, j'aime pas ça!
-Mais qu'est-ce tu veux qu'y m'arrive? Il est là, lui, y m'quitte pas! Pis j'te ramène des mûres, pour l'déssert! A tout', m'man!
-C'est ça, « à tout' »! Sois prudente!
-Oui, oui... Allez, viens, toi!».
Elle va quand-même pas l'attacher à une chaise. L'obliger à faire des dessins ou à tourner en rond dans le petit jardin. Et puis c'est les vacances, faut lui lâcher un peu la bride, la laisser respirer. Oublier un peu les si durs moments de l'année scolaire. Les tensions des derniers mois, ces convocations à l'école, toujours ces problèmes de discipline, d'inattention pendant les cours, de résultats médiocres, de punitions, de révolte, de bras de fer. Et pourtant, elle l'aime, cette petite, ce petit diable ébouriffé, avec ses grands yeux si profonds, si rieurs, si malins, avec son grand coeur ouvert au chagrin, à la détresse, avec sa façon de vous faire des petites surprises fraiches, généreuses. Comme elle l'aime, comme elle l'aime!
Si seulement il était plus présent, lui, évidemment, ça serait mieux pour la petite. C'est ça qui la déstabilise, pour sûr, cette absence la moitié du temps, ces voyages qui n'en finissent plus, qui le transforment en fantôme, en souvenir de père, en désespoir de père, alors qu'ils ne sont ni divorcés ni rien! Juste un travail comme ça, qui vous vole mari et père à longueur de vie, qui crée du vide, du manque, de la frustration, de l'inachevé, de la détresse, du sentiment d'injustice.
Et Dieu sait pourtant qu'ils s'aiment, ces deux-là, qu'ils se ressemblent! Un coeur grand comme ça, la tête en vadrouille permanente, impossible de les tenir cinq minutes en place, deux tornades! Faut les voir quand ils se retrouvent ensemble! Et par monts, et par vaux, et toujours quelqu'un à aller voir quelque part, et VROUMMM VROUMMM la moto sur les petites routes de campagne. Ça la rend folle la gamine, accrochée à pleines mains à son père, dans l'ivresse du vent, le tournis des virages.
Elle aussi, ça la rend folle. De trouille, elle ne vit plus pendant des heures, elle tremble quand sonne le téléphone. « Ça y est, c'est arrivé! ». Pis non, ils finissent toujours par revenir, VROUMM VROUMM! sous les assauts du chien fou de joie, et eux riant et le visage plein d'odeurs et d'échevellements de vents d'ailleurs.
Vite vite, montrer son beau visage de « Maman » heureuse du bonheur des autres, camoufler les rides d'angoisse, rire au diapason de ces deux enfants, l'un son mari, son homme, l'autre, sa fille, son enfant, leur enfant. Les moments de bonheur sont si rares! Ne jamais les troubler. Jamais.
Après tout, tu as raison, petite, va te promener avec ton chien, va faire tes jeux de piste avec lui dans le bois, va nous cueillir des mûres desserts, des mûres éclaboussures, des mûres noir-à-lèvres, des mûres d'amour simple. Amuse-toi, sois heureuse, Mon Coeur, sois heureuse!

D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA

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6 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme cette image est belle et me rend triste à la fois ... Se téléscopent mère, fille, compagne de vie à la lire ... ça fait beaucoup !!! ...Bisous salés Hombre ...
Mich

Anonyme a dit…

Pardonne-moi encore une fois de te faire pleurer.
Et je ne peux même pas te promettre de plus recommencer!
Bisous, Mich'Kaïkan!

Lagunedune a dit…

mûres cueillies parfois même pas mûres, clafoutis et rires, esclafoutis de rires, et des bisous bisous à tous les deux ...

Anonyme a dit…

Mûres de l'amitié ...
Je prendrais bien un morceau de clafoutis avec vous ;-))
Toujours un plaisir de se retrouver ici et ailleurs ...

Eh, Hombre, surtout ne change pas ( je ris en écrivant cette phrase ;-)) Les noeuds à la gorge à la rencontre de tes personnages disent la justesse des mots ;-)) et Muchette et les autres font désormais partie de ma famille ;-))

Anonyme a dit…

Ca alors, les "filles", c'est super sympa d'organiser un petit quatre heures au clafoutis impromptu dans les pages de l'HOMBRE...
Dieu que c'est bon!
Merci à vous, je vous aime.

Anonyme a dit…

;-))

Je m' en ré&gale de ce clafoutis, j' vous dis pas ;-))