vendredi, juillet 18, 2008

poussière (7)

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« -C'est pas juste, c'est dégueulasse! ».
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C'est son mot. Son « Stop! », son « Ça suffit! » à elle. En malpoli, en sauvageonne, en vulgaire, en insupportable bébé grognonne, en infréquentable, en ingérable, comme on se plait à la définir. Par exemple sa maîtresse de l'école:
« -Qu'est-ce qu'elle est malpolie, cette gamine! Ça promet pour plus tard! Si elle parle comme ça devant un patron... ».
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« -C'est pas juste, c'est dégueulasse! ». Tout ce qui la blesse, tout ce qui la froisse. Tout! Et ça en fait, du pas juste et du dégueulasse!
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Elle en voit partout. Chez les adultes, chez les enfants, ses camarades, mille fois par jour à l'école. Rien ne passe, à croire qu'on fait exprès pour l'écoeurer, pour la faire pleurer. Ils savent pas quoi inventer pour pourrir le monde! Pour le rendre laid, imbécile, débile!
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Elle supporte rien, pas qu'on se moque des qui pleurent, des qui jouent gentiment à la poupée, des qui sont drôlement habillés, des qui embrassent leur maman avant de rentrer à l'école, des qui dessinent des petits coeurs pour leur maîtresse avec écrit « je t'aime, métrèsse » autour, des qui ont qu'un parent l'autre on sait pas où qu'il est et alors... des qui font bien attention à leurs belles chaussures neuves et tu vas voir si on va pas t'les rayer, pov' pomme... des qui arrosent les fleurs dans le petit jardin de l'école « - Hé, patate! L'herbe, ça s'arrose pas, ça s'fume! y t'a pas appris ça ton vieux? C'est vrai qu'lui, c'est la picole...»... des qui savent leur leçon, qu'ont fait un super exposé et qu'on traite de lavette, de serpille à bonnes notes, des qui ont apporté leur petit paquet de riz ou de spaguett' pour l'opération de Noël de la Banque Alimentaire, des qui ont soit-disant un tout petit kiki et qui faut leur baisser le pantalon pour voir... des qui ont du mal à prononcer les mots « -Hé! on dit pas gnagnagni gnagnagna, recrache ton dentifrice, t'arriveras mieux à parler! »... des qui des qui des qui...
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Faut pas non plus qu'on touche aux bêtes, aux plantes. Les escargots qu'on brûle au briquet, les vers de terre qui gigotent impuissants dans les flaques de pluie et qu'on découpe avec un petit bâton de peur de se salir! Le petit rat mourant caché derrière une planche et qu'on canarde de caillasses et de mottes de terre, la grosse mouche qu'on a réussi à piéger dans une boite d'allumettes et à laquelle on arrache tout ce qui dépasse en poussant de grands cris d'effroi d'horreur et de plaisir pervers, les calices de tulipe qu'on attrape d'une ferme poignée et qu'on balance comme une volée de confettis, la branche du petit prunier sauvage qu'on casse, qu'on déchire, pour lui voler ses fruits verts , parfaits projectiles pour le jeu de « lance-patates ».
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Alors elle s'emporte, elle insulte, elle frappe, elle balance des coups de pied, des baffes, des mots de granit, des mots de ronces, des mots de coeur outré, révolté.
Et s'abattent les blâmes, les punitions, les lignes cent et cent, les rappels au Règlement, les menaces, les menaces de menaces...
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Et elle se blinde, la petite, et elle se redresse, et elle les regarde de toute sa fierté, et elle refuse de baisser les yeux, jusqu'à ce qu'ils brûlent, alors les larmes lui viennent, de brûlure bien sûr, mais aussi de détresse, d'incompréhension, d'écoeurement. Et elle y va, dans le coin, comme on le lui ordonne. En maugréant, en serrant les dents, en griffant l'univers de sa révolte :
« -C'est pas juste! C'est dégueulasse! ».
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D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA.

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le pire avec ces "C'est pas juste, c'est dégueulasse", c'est que parfois ile sont tellement forts à l'intérieur que la voix ne sort pas ... une boule, une boule comme une grenade à l' intérieur de la gorge et d'autre fois, il y a la peur .. T'imagine pas toi, seul contre dix, on a beau être rebelle, y'a la peur et là encore silence radio alors que le coeur bat à tout rompre et que les larmes montent aux yeux d'impuissance ... C' est que le coin, j'crois bien que je vais le partager avec la petiote ... C' est le coin des " Pas juste " On en a mis en prison ou asile pour moins que ça ...

Anonyme a dit…

Heureusement, ça, c'est les souvenirs de l'année scolaire, aujourd'hui, elle est dans le bois avec son chien et son marteau!
Merci pour ta toujours prompte solidarité et ton ampathie avec mes petits personnages brimés ou blessés.
Bisous à toi, ma Kaïkan.