mardi, mai 01, 2007

Personne ne fera de moi une crevure...

En 95, aidé dans sa réflexion par des publicitaires qui ne nourrissent pas leur nichée avec du cassoulet de chez LIDL, Chirac avait la révélation soudaine que la France, que le peuple de France, était scindé par une « fracture sociale ». Des qui possèdent, qui jouissent et, en bas (comme le dira si bien Raffarin) , des gens qui mijotent dans le jus de la misère et du désespoir. Et l’idée slogan surgit de « réduire » la dite fracture. Tout un programme. Electoral. Et ça marche ! Non pas que la fracture soit réduite mais le candidat est élu. Y’a une justice !

Douze ans après, l’abîme s’est creusé, le cassoulet pour pauvres est encore plus dégueulasse et les riches, même millepatisés, n’ont pas assez de doigts pour tenir le compte de leur fortune. Les braves gens qui y ont cru se sont fait avoir. On va pas en faire un drame, ça fait partie de la « magie » des promesses électorales qui n’engagent que ceuss’ qui…

Seulement voilà, en douze ans, une transformation s’est produite. Extraordinaire. En profondeur dans la conscience même des individus-citoyens qui maillent le tissu de notre peuple. Cette fracture sociale, si vertigineuse, si incongrue dans ce pays qui se targue d’être la cinquième puissance mondiale, cette fracture sociale n’apparaît plus comme révoltante, comme devant être « réduite ». Elle n’est plus une monstruosité dans le paysage de ce que devrait être une harmonieuse fraternité historique.

Au contraire.

Aujourd’hui, en ce moment crucial où l’on va confier le plan de route de notre marche commune à la discrétion d’une ambition personnelle et clanique, la fameuse fracture, dans le conscient collectif, ne s’impose plus comme une montagne à aplanir, comme une brèche à colmater en vue de la réunion de toute la fratrie, mais comme un obstacle naturel et sélectif qui, selon que l’individu parviendra à le franchir ou non, désignera la place de chacun. Réduire la fracture appelait aux solidarités (aurait dû appelé…), la consacrer au rang d’Arbitre de la Grande Classification Universelle revient à transformer chaque citoyen en chacal. La France de la Fraternité se transforme moralement en meute de « machairodus » et l’instinct d’ « élévation sociale » personnelle, ou tout au moins de préservation de son propre statut, prend le pas sur et renie même la moindre idée de main tendue.

Tournant le dos à des décennies de philosophie du progrès social et d’élévation générale du bien-être commun, on en est arrivé, en quelques années de « catéchisme libéral » à n’envisager sa propre survie que par le droit d’exploiter sans vergogne les bipèdes censés nous servir. Décharnelisés, déshumanisés, déconscientisés, les « autres » ne sont plus que d’imparfaits robots réduits à merci. On doit pouvoir être servi à chaque instant, pour quelque tâche que ce soit. Elevé à la religion du « Tout toud’suite », le « citoyen » d’aujourd’hui pense être « quelqu’un » en exigeant du « guichetier » et de la « caissière » à toute heure du jour et de la nuit. Et, bien entendu, pour le moins cher possible. Car, si mon propre travail est évidemment insuffisamment rétribué, celui des autres est scandaleusement prohibitif. On doit être présent et disponible en permanence et ne pas coûter cher. C’est aujourd’hui le lot des « ceux d’en bas ».
« Travailler plus pour gagner plus ! ». C’est le slogan le plus scandaleux que j’ai jamais entendu. Et pourtant, il est partagé par la majorité des citoyens ! (sauf s’il s’agit de soit, bien entendu…). On trouve normal que l’autre se tape des heures et des heures de boulot pour pouvoir finir ses fins de mois. Toute revendication de hausse de salaire fait hurler au scandale, c’est ringard et anti-économique. La caissière de supermarché a du mal à joindre les deux bouts avec ses heures payées au Smic ? Que n’accepte t-elle de travailler le dimanche et les jours fériés ? Que n’envisage t-elle de faire quelques heures de ménage après sa journée de caisse ? Elle a des enfants, elle aimerait être plus présente auprès d’eux ? Ah, ça, bien sûr, si vous y mettez de la mauvaise volonté… Et puis, vous n’allez pas nous dire qu’il n’y a pas une faignasse de chômeur dans votre entourage pour s’occuper d’eux… Vous voyez, des solutions, il y en a, vous n’avez qu’à nous demander !
Jamais le « Travail » n’aura autant été mis en exergue par des candidats à la Présidentielle. Tous ou presque. Jusqu’aux Arlette et Olivier qui réclament des « crèches d’entreprise » pour que les esclaves femelles ne perdent pas leur temps et leur énergie à gérer la « nounouitude » de leur progéniture.
Il faut faire, il faut contraindre à travailler toujours plus, le plus longtemps possible, le plus vieux possible ! On en est arrivé à évoquer une « deuxième carrière » pour après l’âge de la retraite ! On envisage fortement d’obliger les chômeurs à accepter n’importe quel boulot sous peine de se retrouver au ruisseau et à la soupe populaire. Le syndrome de la « fourmilière » pèse de tout son poids sur la société. Fabriquer, brasser, vendre toujours plus pour que tourne encore et encore la machine à gaver de breloques les insatiables « Sapiens », les si mal nommés. Et bien sûr, il y a ceux qu’on laisse en dehors du système, crasseux, affamés, perdus, pour dissuader les inclus de prendre un peu de liberté. Celle-ci étant incompatible avec la bonne marche des affaires. Du Commerce !
Ce qui gêne les maîtres de nos destins et de notre vie dans la réduction du temps de travail, ce ne sont pas les heures de notre absence ( il y aurait plein de volontaires pour nous remplacer), ce sont les heures de notre Liberté ! Comme si on leur échappait un peu, comme si on les frustrait de leur emprise sur nous.
Pourquoi croyez-vous que Sarko s’en prend à Mai 68 ? Parce que sous le pavé de 68, il y a comme une idée d’affranchissement de l’homme et que cela est incompatible avec le Nouvel Ordre Economique et Commercial. La sympathique image de l’Entreprise- Famille (où pourtant chacun dévore l’autre à pleines dents) n’est qu’un subterfuge pervers qui incite le « travailleur » à sacrifier, à offrir de bon cœur son temps et sa vie au seul profit des sangsues qui le dévorent. Pas de place là-dedans pour une quelconque présence syndicale ! Pas de ça chez nous, monsieur, on est pas chez les Soviets ! On est moderne, merde !
Travaillons moderne ! C’est la devise. C’est à dire au Smic, au mérite, à la bonne bouille, à la « carpetisation », au rendement. Travaillons Commercial ! Commercial ! Ca veut dire vendons n’importe quoi qui brille, qui flashe, qui « tilte », qui « jette », qui épate la galerie, qui écrase les bouseux, n’importe quel gadget « archiàlapointe » qui métamorphose le grand singe balbutiant en parangon de la modernité sine qua non. Le Monde sera Commercial ou ne sera pas. Et l’homme en est la mécanique. Nous sommes des mécaniques ! Enfonçons-nous bien ça dans la tête ! Toi, moi, elle, lui, eux, nous, tous autant qu’on est sommes des pièces, des bouts de rouage de la Mécanique Commerciale. Rien d’autre ! Rien d’autre ! Et non seulement on nous assène cette réalité mais nous la prenons comme telle ! Sans dec’ !
Qui n’est pas persuadé qu’il doit avoir un métier, qu’il doit trouver un travail, que le travail c’est la dignité, que ses enfants doivent bien travailler à l’école pour avoir un bon métier, que la Famille est le seul horizon d’une vie dépourvue de socialité élargie, que l’on ne peut que se dépatouiller seul pour assurer la survie des siens, que bien vivre c’est bien consommer, consommer plus encore, qu’il n’y a rien qui puisse échapper à l’appétit humain, qu’un simple fonctionnaire a droit à faire chier les tortues des Galapagos comme un Américain ni plus ni moins, que chacun a droit à une bagnole super-sophistiquée qui se conduit presque toute seule pourvu qu’on fasse l’effort de bosser comme un malade pour payer les mensualités dont chacune pourrait nourrir des centaines de crève-la-faim sur la pierre de déserts brûlants dont personne a rien à foutre et après tout on est pas là pour supporter …

La NORMALITE !!! La vie humaine, c’est ça ! Et rien d’autre ! Qu’on se le dise !

Comme une malédiction !
Nous sommes appelés à voter MAUDITS ! CRUELS ! IMPITOYABLES ! AVEUGLES aux autres ! Puisqu’il est écrit quelque part que l’histoire humaine, ça doit être ça ! Puisqu’il est écrit quelque part que votre vie, que TA VIE, ça doit être ça ! Qu’il n’y a pas d’échappatoire !


Et moi je dis NON !
Et lui, et elle, et encore ceux-là et encore ces autres, là-bas, et encore et encore…
Tous, toutes, DEBOUT, à dire NON, NON, on ne veut pas de ce monde-là, de cette normalité-là, de cette humanité-là, hideuse, désespérante. Il y a encore des Humains debout, par milliers, par millions, par centaines de millions ! Et qui refusent de porter le masque de gueules de rouage de machine infernale !

Sarkozistes et autres "Libéraux" conscients ou inconscients, par hargne par lâcheté ou par bêtise, vous ne ferez pas plier des millions d’hommes debout. Ou alors, il faudra utiliser des moyens radicaux. Comme en d’autres temps…
Denis Marulaz.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Véronique, j'ai viré ton message parce que j'en ai marre que tout ce que je peux écrire passe à la moulinette d'une méprisante et systématique contradiction. Je n'ai pas pris position pour Royal dans cette reflexion mais oui, clairement contre la "philosophie" de rejet et de haine et de mépris de ceux que Sarkozy, comme Le Pen en son temps, a libérés de leurs interdits et de leurs retenues. Tout le monde va pouvoir sans vergogne désigner du doigt des boucs émissaires. Cette société-là m'offusque et je le dis.

Anonyme a dit…

Saine Colère Denis !
Je t'embrasse... Ne vire pas , rameute plutôt... A deux jours du probablement pire il y a peut-être un instinct de survie à promouvoir... Non ?

Anonyme a dit…

A trop hurler on devient sourd !!
Et c'est dommage ...
véronique