"Confiné" dans ma cambuse depuis plusieurs jours, je pars à la recherche dans mes cartons et étagères de photos d'il y a des années qui montrent mes oeuvres picturales de ma jeunesse. Je les trouve pas mais voilà que ressurgit un tout petit carnet dont je ne me souvenais plus griffonné d'un court texte complètement évaporé de ma mémoire ! Alors, tant qu'à lui faire reprendre la lumière, autant que ce soit dans mon Blog d'Auteur !!! Bonne lecture !
Photo et Concept D.M. alias Hombre de Nada |
La Guerre légumicide
Avant d’aller dormir, arrosage et
cueillette avec Mammie Jeannette. Dans la nuit, de sa chambre, la petite Marie
entend parler dans la cuisine. Elle descend les escaliers et regarde par le
trou de la serrure. Quel drôle de spectacle !
Les couverts sortent des tiroirs du
vaisselier et prennent place sur les meubles autour de la table où est déposé
le panier de légumes. Tous se mettent à chanter.
« -La cuisine est notre
territoire !
Sus aux intrus,
Mort aux légumes !
Végétaux Têtes de
Veaux !
A l’épluchage !Au ratatinage ! »
Une fourchette saute
du buffet et plonge, dents en avant, sur une patate qui se met à hurler de
douleur.
«-Au secours, on nous attaque ! Gare à nos fesses ! »
Les poireaux tentent de dévier les trajectoires des fourchettes et couteaux qui
tombent à terre dans un boucan effroyable avant de repartir à l’assaut. De
leurs fanes, les carottes et les navets essayent d’étouffer les agresseurs.
«-Battons-nous, Camarades, les carottes ne sont pas cuites ! Résistance,
Résistance ! »
Un potiron et une grosse courgette sautent à pieds
joints sur des piles d’assiettes, les fracassent en mille morceaux. Une marmite
se remplit d’eau au robinet et se dépose sur le poêle allumé.
« -Montrons-leur de quel bois on se chauffe, à ces cucurbitures !
Pastagouille et ratatouille, qu’on les écrabouille ! »
Malgré une
belle résistance, les légumes perdent pied, qui un couteau, qui une fourchette
dans le gras du ventre. Une fourchette à escargots a même réussi à empaler deux
tomates-cerises sanguinolentes. Terrassés, les légumes sont déposés sur la
table pour le sacrifice final. Puis l’épluche-légumes entre en action, pour son
travail d’écorcheur. Ensuite, tenus sur la planche à découper par les
fourchettes, ils sont découpés un à un en tranches ou en morceaux par les
couteaux ivres de haine et de jus de tomate. La planche, quand elle commence à
être surchargée, vole jusqu’à la marmite d’eau bouillante. A ce contact
brûlant, les morceaux végétaux, encore vivants, lâchent de longues plaintes qui
glacent le sang de la petite Marie, l’œil toujours collé au trou de la serrure.
D’autant plus que les ustensiles de cuisine chantent en chœur :
«-Cornichons et salsifis
Potiron et céleris
Finirez tous Finirez tous
Finirez
tous Au bain-marie
Au bain-marie ! »
Quelle peur elle éprouve, la
petite fille. Mais courageuse ! Elle reste, le cœur battant, pour voir la
fin de la guerre légumicide.
Après un bon moment de cuisson, une louche en inox
plonge à rythme soutenu dans la marmite et précipite les légumes bouillis dans
une grosse moulinette dont la manivelle danse la valse en beuglant :
« -Mieux qu’ la tourniquette à faire la vinaigrette Viva la moulinette à
faire le jus d’courgette ! »
Et les légumes, hachés menu, s’écoulent
à petits Flic Floc Flac Flac dans une grosse jatte en terre cuite, fumantes de
bonnes odeurs. Quand tous les légumes sont ratatinés, moulinés, essorés, la
poêle à frire et le chinois, qui sont restés sur le buffet pour surveiller le
bon déroulement de l’extermination, battent le rappel. En rangs d’ognons et au
pas cadencé, tous les couverts passent sous la douche du robinet d’eau chaude
pour se purifier des traces gluantes de leur crime puis rejoignent, dans un
ordre impeccable, chacun leur place dans les tiroirs du vaisselier en chantant
patriotiquement :
« -Toujours je chérirai ma Patrie la Cuisine,
De
mes pointes
De ma lame
De mon écrabouilloir
Réduirai en bouillie, en rondelles,
En vulgaires croquettes,
Les races maudites des viandes
Et des légumes
Gumes
Gumes
Et des légumes
Gumes Gumes ! »
Les tiroirs se referment, le
calme revient dans la cuisine où fume une jatte de soupe tiédissante. La petite
Marie, fantomatique, retourne dans sa chambre où elle essaie de retrouver le
sommeil en serrant très fort son nounours sur son cœur. Le lendemain matin,
quand elle descend, elle trouve sa Grand-Mère dans la cuisine et qui lui
dit :
« -T’as bien dormi, ma tite chérie ? Y’a la Toinette qu’a
dû passer, la soupe est déjà toute prête, y’a p’us qu’à la réchauffer. T’en veux
un bol de la bonne soupe du jardin à Mammie ? »
Alors, la pauvre
petite Marie s’enfuit en hurlant en sanglotant :
« -J’en veux pas d’
la soupe assassinée ! C’est dégoûtant ! J’ mangerai p’us que des
bonbons et des crêpes au Nutella ! »
Pauvre petite Marie innocente,
si elle savait comment… Mais bon, c’est assez, pas toutes les horreurs le même
jour.
Bonne journée à toi,
petite Marie !!!Texte Denis MARULAZ alias Hombre de Nada 2020
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