jeudi, août 17, 2006

Trois p'tits coquelicots























dessin d.m.


Scène 1


( C’est la nuit. On entend courir dehors . Des chiens se mettent à aboyer. Une voiture passe au ralenti et s’éloigne. A nouveau des pas précipités puis le bruit d’une serrure qu’on crochète. Une porte qui se referme. On entend haleter à l’entrée jardin du salon.
A l’extérieur, les chiens finissent par se taire.
Une silhouette pénètre prudemment dans la pièce côté jardin. Salon très sobre avec : une table basse, deux chaises, une espèce d’autel où sont disposés un portrait de femme dans un cadre noir, un vase contenant un bouquet de fleurs et un faux cierge électrique qui dispense la seule clarté de l’endroit.
La silhouette s’habitue au peu de lumière puis se laisse choir sur une chaise. La respiration redevient normale. Soudain, une vive lumière s’éclaire tandis qu’un homme en robe de chambre surgit par l’entrée cour du salon.)
























dessin d.m.

Gildas ...Et bien, ça va ? Faut pas se gêner !

Bûchette... (se lève précipitamment, se jette sur Gildas tout en chuchotant violemment)
La lumière, connard !

Gildas... Hé, là, Ho ! ...

Bûchette.... La lumière, que j’te dis. Et ta gueule, t’as compris, ta gueule !

(La lumière s’éteint)

Gildas... Lâchez-moi, vous me faites mal.

Bûchette... O.K, pépère, j’vais te lâcher, mais un mot trop fort, un cri, un appel, j’te butte. Compris ?

Gildas... Vous, vous êtes armée ?

Bûchette... (exhibant un pistolet) Et ça, c’est du nougat ? Allez, va t’asseoir sagement et silence, hein, silence.

(Gildas s’asseoit sur une chaise, Bûchette sur la table basse)

Bûchette... T’as des clopes ?

Gildas... (A voix haute) Des quoi ?

Bûchette... A voix basse, putain de merde ! Tu cherches un pruneau ou quoi ? J’te demandais si tu avais des cigarettes.

Gildas... Non. Je ne fume pas, désolé.

Bûchette... Désolé ! P’tit bonhomme va !

Gildas ...Je ne suis pas votre…

(A ce moment-là, se fait entendre à nouveau le ronronnement d’une voiture qui roule au ralenti. On entend aussi les chiens qui se remettent à aboyer).

Bûchette... (Pointant son arme sur Gildas) Chut !

(Situation figée jusqu’à ce que le véhicule ait disparu et que les chiens se soient calmés.)

Bûchette... Ils lâcheront pas le morceau, les affreux. Dis, pépère…

Gildas... Je ne vous permets pas…

Bûchette... Bon. C’est quoi, ton nom ?

Gildas ... Je suis Monsieur Rebillard.

Bûchette... Tu veux pas que j’te donne du Monsieur, quand même, non ? Rebillard comment ?

Gildas... Gildas.

Bûchette.... Gildas. Pas mal. Bon ; pépère Gildas, il est grand comment, ton appartement ?

Gildas... Qu’est-ce que…

Bûchette... Réponds, Gilou.

Gildas... Gilou ! (Elle le menace) Bon, y’a que deux pièces, ce salon, ma chambre et la cuisine. Pourquoi ?

Bûchette... Deux pièces, ça fait une pièce chacun. C’est parfait, je m’invite !

Gildas... Pardon ?

Bûchette... Ecoute moi bien, Môssieur Gildas. Les cannibales, là dehors, y m’ont perdue dans le quartier. Ils savent bien que je suis dans une de ces maisons. Ils vont tournicoter toute la nuit, plusieurs jours s’il le faut. Si je mets le nez dehors, il va pleuvoir du plomb, bien serré. Et pour ça, j’suis un peu jeune, j’ai d’autres plans de carrière, tu vois.
Alors, comme t’es un gentil pépère tout seul… Au fait, t’es seul ici ?

Gildas... Ca ne vous regarde pas.

Bûchette... Réponds !

Gildas... Je suis seul.

Bûchette... J’veux en être sûre. Montre moi. Allez, debout. Fais moi visiter ton petit Versailles. Et pas d’entourloupe, hein !

(Ils se dirigent côté cour vers la chambre, y pénètrent, réapparaissent.)


Bûchette... Ben dis donc, ça incite pas à la galipette.

Gildas... Je vous en prie…

Bûchette... La cuisine, maintenant.

Gildas... C’est par là. La salle de bain aussi. (Ils se dirigent vers la sortie jardin)

Bûchette... (Derrière le décor) C’est propre, pour un homme seul. T’as une boniche ?

Gildas... (Derrière le décor) Non, c’est moi qui…

Bûchette... Félicitations ! Allez, on retourne au salon.

(Ils réapparaissent)


Bûchette ... Tu peux t’asseoir.

Gildas... Merci.

Bûchette ... Je disais donc, comme t’es un gentil pépère tout seul et que tu t’ennuies un peu…

Gildas... Je ne m’ennuie pas du tout !

Bûchette... Chut ! Et comme tu t’ennuies beaucoup, tu vas inviter ta nouvelle copine à passer quelques jours avec toi, le temps que l’orage s’éloigne.

Gildas... Mais je refuse, je ne vous connais pas !

Bûchette... Plus bas, bordel !

Gildas... Vous débarquez ici, armée et menaçante….

Bûchette... Oh ! Si peu…

Gildas... Vous êtes recherchée par je ne sais qui, des gangsters, peut-être la police…

Bûchette... J’te jure que c’est pas les argouses

Gildas... C’est donc par des malfrats. Merci du cadeau ! S’ils vous trouvent chez moi, ils vont me féliciter, peut-être ! Vous êtes folle ou quoi ? J’ai pas envie d’être mêlé à vos histoires, moi. Je ne vous connais pas, vous n’avez rien à faire chez moi. Ca y est, ils sont partis, maintenant, fichez le camp, laissez-moi tranquille…

Bûchette... C’est tout ?

Gildas... Comment ça, c’est tout ? C’est un peu fort, tout de même !

Bûchette... Silence, nom de Dieu !

(Les chiens se remettent à aboyer, la voiture repasse)


Gildas... (Il se lève, se dirige vers la sortie jardin) J’vais leur dire, que vous êtes là…

Bûchette ... (Saute sur Gildas, lui colle son arme sur la tempe) Chiche ?

(On n’entend plus la voiture, les chiens se taisent, Bûchette relâche Gildas, lui balance une baffe.)


Bûchette... Refais jamais ça, triple con, refais jamais ça . Pourquoi t’as fait ça ? Tu voulais me donner ?

Gildas... Je voulais… Je voulais effacer un mauvais rêve. Remettre les choses en ordre ! Je dormais, tranquille, et vous arrivez, et vous me menacez…

Bûchette... Encore !

Gildas... J’ai rien demandé à personne. Je vis dans mon coin, tranquille, tout seul, je fais pas de bruit, j’emmerde personne, je parle à personne, je fréquente personne, ni les gentils, ni les pas-gentils, je suis en règle avec tout le monde, les commerçants, les impôts, les organismes, tout ! Vous entendez, je suis bien avec tout le monde ! Je veux qu’on me foute la paix ! Qu’on me laisse tranquille. Tranquille.
Soyez gentille, je dirai rien à personne, partez, laissez-moi. Je dirai rien à personne, promis

Bûchette... Mets les pouces, petit père, ça sert à rien de flipper. Tu sais quoi ? J’ai la dalle ! Il aurait pas des noisettes en stock, le petit écureuil ?

Gildas... Vous…Vous voulez manger ? Vous avez faim ?

Bûchette... Comme on dit, les émotions…

Gildas... Ca creuse. Dans la cuisine, allez-y, servez-vous, il y a tout ce qu’il faut.

Bûchette... Gracias. Mais avant tout, une petite formalité. Pour éviter les dérapages, pour pas prendre le risque de sortir des clous…T’as que ce téléphone ?

Gildas... Ben oui, pourquoi ?

Bûchette... (Elle débranche l’appareil autour duquel elle entoure le câble) Pas de portable ?

Gildas... Pourquoi faire ?

Bûchette... Vrai ?

Gildas... Vrai .

Bûchette... Tes clés !

Gildas... Quoi, mes clés ?

Bûchette... Donne.

Gildas... Mais enfin…

Bûchette ...Donne.

Gildas ...Au clou, à côté de la porte.

Bûchette... Bouge pas . (Elle prend la sortie jardin et revient illico un trousseau à la main) Et les sœurs jumelles ?

Gildas... Les quoi ?

Bûchette... Le deuxième trousseau !

Gildas... (Se lève, soulève le vase de fleurs sur l’autel et tend à Bûchette le trousseau de clés qui s’y trouvait) Pourquoi, tout ça ?

Bûchette... Ne nous soumets pas à la tentation…Amen…Gilou ?

Gildas... Hum ?

Bûchette... Ton croco.

Gildas... Merde, à la fin.

Bûchette... Tsss, Tsss,Tsss. Passe moi la bête.

Gildas... Dans mon veston, dans la chambre.

Bûchette... T’as vingt secondes chrono.

(Gildas se lève et pénètre dans la chambre côté cour)

Bûchette... Oublie pas le mille feuilles et la ferraille, si t’as ça en rayon !

Gildas... Vous pouvez pas parler français, à la fin ? Qu’est-ce que vous voulez encore ?

Bûchette... Tes économies, même la monnaie, s’il te plait !

Gildas... (Revient et tend son portefeuille à Bûchette.) Tout est là-dedans.

Bûchette... Retourne tes poches. (Gildas s’exécute.) Bon, sois chou. Va nous préparer un petit pique-nique. J’pleure pas sur le rouquin, tu sais.

Gildas... (Disparaît dans la cuisine.) Ce sera tout pour votre service ?























dessin d.m.


(Pendant ce temps, Bûchette fouille le portefeuille, en sort deux ou trois billets de cent francs, une carte d’identité, un permis, une photo.)

Bûchette... Pas de quoi faire des folies, hein ? Dis, c’est ta cop’s ?

Gildas... (Dans la coulisse) Quoi ?

Bûchette... Sur la photo, là.

Gildas... (Déboule comme un diable de la cuisine, se saisit de la photo et repart.) Rendez-moi ça, personne n’a le droit…

Bûchette... Hou la la ! garde la, ta meuf…Dis, Gilou, c’est la même qu’à côté de la bougie ?

Gildas... (Dans la cuisine.) Oui, oui, oui. Vous n’y touchez pas, hein ?

Bûchette... Craché ! Juste avec les yeux. (Elle prend délicatement le cadre, regarde longuement la photo et la replace sur l’autel.) Putain, elle a la classe !

Gildas... (Revient de la cuisine avec un plateau contenant une boite de fromage, quelques tranches de pain de mie, une bouteille de rouge entamée, un verre, une pomme.) Madame est servie.

Bûchette... Il a de beaux yeux, ton calendos. (Elle attaque le fromage, se sert un verre de vin.)
Dis, p’tit père…

Gildas... Quoi ?

Bûchette... C’était ta légitime ?

Gildas... Ca ne vous regarde pas.

(Il se lève, tourne le portrait de femme côté mur. A ce moment, nouveau passage de la voiture au ralenti, hurlements des chiens.)

Bûchette... (Se saisissant de son arme.) Chut ! Arrêt sur image.

Gildas... Ca va, ça va.

Bûchette... Chut !

(Tout redevient calme.)

Gildas... Ils sont persévérants. C’est qui ?

Bûchette... Des amis.

Gildas... Des amis…qui vous veulent du bien ?

Bûchette ...Disons que je leur suis très, très chère !

(Elle se ressert un bout de fromage, un verre de rouge.) T’en veux ?

Gildas... Pas faim. J’ai pas l’habitude de manger en pleine nuit.

Bûchette... Y’a pas que les habitudes, dans la vie. Y’a les jours de fête.

Gildas... Et on fête quoi, aujourd’hui ?

Bûchette... La Sainte Vadrouille, mon gros père ! L’oiseau s’est barré de sa cage ! Ca vaut bien de claquer les verres, non ?

Gildas... Vous voulez dire que vous étiez prisonnière ? De qui ? Pourquoi ?

Bûchette... (Tournant son derrière vers Gildas.) Zieute-le bien, celui-là, mon gros loup. C’est de l’or en barre. Et quand on investit dans la pierre, on prend toutes les assurances. De là à tout bien barricader à triple tour, y’a qu’un pas. Faut comprendre…
Seulement, le zoiseau, il a eu un peu envie de se dégourdir les plumes, d’aller taquiner l’asticot en pleine nature. Et me voilà ! Pourchassée par les gros matous en colère ! Mais t’inquiète pas, j’vais finir par trouver mon courant d’air.

Gildas... Permettez-moi de vous dire que le plus tôt sera le mieux, sans vouloir vous vexer…

Bûchette... Hou ! La vilaine scie égoïne ! Mais c’est qu’il vous foutrait à la baille sans bouée, l’affreux ! Hé ! Tu vas arrêter de montrer les dents, oui ?

Gildas... Hé ! Ca va, ça va !Ca va…J’ai tout de même le droit de dire ce que je pense. Je suis chez moi.

Bûchette... Gentiment.

Gildas... Gentiment, gentiment… J’voudrais vous y voir, vous. Qu’est-ce qui me forcerait à héberger une… une…

Bûchette... Une pute.

Gildas... J’ai pas dit ça. Qu’est-ce qui me forcerait à héberger une prostituée chez moi, quitte à passer p...our un proxénète ?

Bûchette... (Lui montrant l’arme.) Ca, cher Monsieur, et ta bonne éducation. Allez, fais pas le méchant. T’aurais jamais le cœur de larguer une fragile bulle de savon dans la tempête.

Gildas... Qu’est-ce que vous en savez ? Comment pouvez-vous savoir ce qu’il y a à l’intérieur ?

Bûchette... Mon bon vieux ! Y’a qu’à te regarder, avec tes yeux de chien battu, ta p’tite maison bien propre, ton p’tit mur des lamentations, son pot de fleurs, sa bougie, ses regrets éternels…

Gildas... Ca, ça n’a rien à voir. C’est un autre monde, vous ne pouvez pas comprendre. N’y touchez pas…

Bûchette... Faut jamais me dire de ne pas toucher à quelque chose. Ca m’excite, ça m’inspire, je fantasme. Chut !

























dessin d.m.


(Moteur de voiture, aboiements.)

Bûchette... (A voix très basse) Y zont de la suite dans les idées. Tu sais, elle est très belle.

Gildas... Qui ça ?

Bûchette... (Désignant la photo dans le cadre) Elle.

Gildas... Je sais. Taisez-vous. Vous oubliez qu’il faut faire silence ?

Bûchette ... Chuchoter, c’est un peu du vol, un p’tit jeu interdit, un petit ruisseau de montagne…

Gildas... Vous êtes folle.

Bûchette... Je sais.

(Le silence extérieur revient.)

Gildas... Vous ne savez pas ce que vous voulez, vous. Un coup il faut faire le silence et la fois d’après, en pleine alerte, vous n’arrêtez pas de parler…

Bûchette... Je parlais pas, Gilou, je parlais pas, c’est mon cœur qui battait. Tu me sers un coup de rouge ?

Gildas... Servez-vous.

Bûchette... C’est toi l’homme, p’tit père, sois galant.

Gildas... (La servant.) C’est ça, soyons galant. A la bonne votre…

Bûchette... Dis, Minet…

Gildas... Quoi encore ?

Bûchette... Tu voudrais pas la retourner vers nous ? Ca me fait de la peine pour elle.

Gildas... Oubliez-la, s’il vous plaît. Je vous ai déjà dit que ça ne vous regardait pas. Laissez-la en paix. Il... vaut mieux qu’elle ne voit pas ce qui se passe ici cette nuit.

Bûchette... Gildas…

Gildas... Quoi ?

Bûchette... Tu me fatigues. Tu veux pas aller dormir ?

Gildas... Je ne demande que ça, moi, de retrouver mon sommeil d’où vous m’avez arraché à votre arrivée. Et vous, qu’est-ce que vous faites ? Vous persistez à rester ?

Bûchette... Bien sûr, je reste. Donne moi une couvrante, je dormirai par terre, si j’y arrive.

Gildas... Mes papiers, mon argent, mes clés…

Bûchette... On verra ça demain. T’en a pas besoin pour faire ton gros dodo ? Oublie pas la couverture.

(Gildas disparaît côté cour et revient avec une couverture.)

Gildas... C’est tout ce que j’ai…

Bûchette... On fera avec. Merci quand même. Bonne nuit, gros Nounours.

Gildas... C’est ça, bonne nuit. Au fait, c’est quoi, votre prénom ?

Bûchette... On m’appelle Bûchette, dans l’bastringue.

Gildas ...Bûchette ! C’est pas un prénom. Pourquoi on vous appelle comme ça ?

Bûchette... Paraît qu’y en a pas deux comme moi, pour les tailler, les « bûchettes » !

"Trois p'tits coquelicots" extrait 1 texte déposé à SACD/SCALA

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